En 1983, le 102, squat autogéré axé sur la diffusion de « formes artistiques et politiques marginales », ouvrait ses portes. Aujourd'hui, il est toujours là, et s'est mué en « lieu autogéré de diffusion et de réflexion » dixit l'équipe aux commandes. Une équipe qui a prévu de fêter les trente ans du lieu en grande pompe, sur tout le mois de mai. Du coup, on a remonté le fil de l'histoire. Propos recueillis par Aurélien Martinez
Rue d'Alembert, entre la Clinique mutualiste et la rue Nicolas Chorier, se trouve une maison qui, de l'extérieur, ressemble à n'importe quelle autre maison de ville grenobloise. Sauf qu'en réalité, on est très loin de la bicoque discrète et de son confort bourgeois – c'est même tout le contraire !
« En 1983, le 102 rue d'Alembert est une ancienne boutonnerie vide depuis des années. Du coup, une équipe de gens ouvre illégalement cet endroit qui appartient à la ville. Et il devient un lieu d'habitation et d'activités culturelles. » Cyril, l'un des membres du collectif aux commandes aujourd'hui, revient ainsi sur la naissance de ce projet tant culturel que politique.
Pascal, lui aussi pilier du 102, embraie. « À la fin des années 80, le projet s'affine, et le 102 fédère une scène musicale alternative pas forcément représentée dans les institutions culturelles classiques. Au fur et à mesure, l'activité de diffusion se renforce et se structure. » Pareil pour le cinéma. Cyril : « Il y a la découverte du cinéma expérimental, avec notamment la mise en place d'un atelier de développement de film – ce qui, à l'époque, existe nulle part. » Pascal : « Plein de gens vont venir à Grenoble développer leurs films au lieu de les envoyer aux labos. Ils apprennent la technique, pour ensuite monter ça ailleurs – Nantes, Paris, Genève, Bruxelles... » Musiques « innovatrices » et cinéma expérimental : deux jambes qui, en 2013, portent toujours le 102, comme on le constatera lors des 30 jours de fêtes prévus sur le mois de mai.
« On sert de caution »
Voilà pour la belle histoire. Mais comme tout squat qui se respecte, les premiers pas du 102 ont été houleux vis-à-vis des pouvoirs publics. Cyril : « À l'ouverture, il y a tout de suite un procès, que la mairie de Grenoble perd. Ça crée un vide, et l'équipe du 102 se fait un peu oublier pendant pas mal de temps. Aux débuts des années 90, la tension reprend avec la mairie [deux nouveaux procès auront lieu, en 1991 et 1994 – ndlr]. Un rapport de force se met en place, avec un 102 qui continue de manière intensive sa programmation. Du coup, il y aura plein de soutiens à Grenoble et ailleurs – on a même le programmateur de Beaubourg qui descend pour une soirée. Une série de deux articles est publiée dans le Monde sur le 102. On est à un moment où Alain Carignon [maire de Grenoble de 1983 à 1995 – ndlr] a des casseroles qui deviennent publiques... Les fronts se sont donc multipliés sur plein de sujets, et notre analyse est qu'en mairie, ils ont alors décidé de lâcher sur le nôtre, en signant une convention d'occupation avec le 102. Depuis 1993, le 102 est donc un lieu légal appartenant à la mairie de Grenoble. Une salle municipale on pourrait dire ! » Avec une convention à reconduire tous les trois ans, et des travaux de mises aux normes effectués par les bénévoles pour pouvoir accueillir du public en toute sécurité.
Aujourd'hui, entre la municipalité et le 102, c'est donc l'amour fou ? Bien sûr que non, ce serait trop simple ! Cyril : « Le 102 est le lieu qui cache le désert à Grenoble. » Pascal : « On sert de caution, de petit pourcentage légal d'opposition et de diversité culturelle. On fait attention à notre autonomie malgré le fait que l'on soit conventionnés. » Une situation ambigüe qui détonne dans un paysage grenoblois où les squats ont été fermés les uns après les autres (comme dernièrement le Great-A, voisin du 102 – au 114 rue d'Alembert).
« Ça marche grâce aux spectateurs »
Trente ans après son ouverture, qu'en est-il du 102 ? Cyril : « Aujourd'hui, on est à peu près une cinquantaine de personnes, avec des niveaux d'implication plus ou moins importants. On est organisés en plusieurs collectifs de programmations (Archipel urbain pour la musique, Gute Nacht pour le cinéma, l'atelier de sérigraphie nommé le 103) » Avec une collégiale d'une douzaine de membres qui prend les décisions – d'où le souhait de nos deux interlocuteurs que l'on n'inscrive pas leurs noms, pour défendre cette idée de collectif.
Un 102 qui fonctionne toujours sans aucune subvention, et qui est donc animé uniquement par des bénévoles. Cyril : « Ça marche grâce aux spectateurs [les entrées servent entre autres à défrayer les artistes, qui viennent jouer gratuitement – ndlr], et à toute l'énergie que l'on y met, notamment dans la récup : par exemple, les sièges du 102 viennent en partie du Cargo au moment de sa démolition. » Aujourd'hui, ils voient le 102 non plus comme un squat mais comme un « lieu autogéré de diffusion de réflexion artistique et politique » (Pascal). Politique, car le projet en lui-même l'est – la CNT, « syndicat anarchosyndicaliste et syndicaliste révolutionnaire », est hébergée au 102. Et artistique, parce que même si les formes proposées au 102 sont souvent très abstraites pour tout un chacun, et qu'il n'est pas forcément facile pour un néophyte de pousser leur porte (on a l'impression de rentrer dans une famille, avec tout ce que cela implique de positif et de négatif), on est face à une équipe convaincue de la nécessité de montrer des formes innovantes et pointues à tous.
30 jours, 30 ans, du mercredi 1er au vendredi 31 mai, au 102