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Fontaine : couvrez cette expo que je ne saurais voir
Par Aurélien Martinez
Publié Mardi 12 avril 2016
Ce jeudi 14 avril aurait dû être inaugurée au Vog, centre d’art municipal de Fontaine, une exposition consacrée à l’artiste Philippe Perrin. Mais elle a finalement été annulée par la Ville au vu du « contexte national et international » ; puis ensuite par l’artiste lui-même quand la mairie a fait machine arrière en imposant plusieurs conditions (« inacceptables » selon lui) à son maintien. On fait le point avec ceux, rares, qui ont bien voulu s’exprimer.
Programmée du 14 avril au 14 mai au centre d’art municipal de Fontaine le Vog, l’exposition Sheena is… remix devait présenter le travail de l’artiste Philippe Perrin. Des œuvres mettant en avant « un monde de violence, de rixes, de coups portés à d’innombrables ennemis, à tous même » comme il est écrit en préambule du dossier de presse ; mais « pas seulement ». « Philippe Perrin montre néanmoins, au travers d’une violence de l’humanité, les ambiguïtés du monde. » Des ambiguïtés qui ont dérangé l’équipe municipale de Fontaine qui avait d’abord imaginé interdire l’exposition avant de se rétracter.
Forcément, on a tenté de joindre le maire communiste Jean-Paul Trovero pour avoir son point de vue (ou celui de son adjoint à la culture Brice Di Gennaro) : on nous a systématiquement renvoyés vers le communiqué de presse publié la semaine dernière. En voici un extrait :
L’exposition proposée par Philippe Perrin devait reprendre une partie de ses œuvres marquées par la scénarisation et la représentation de l’univers des armes, des codes de la violence et des scènes de crime. En parallèle de la préparation de cette exposition, le contexte national et international a été endeuillé par des crimes de sang d’une ampleur inédite et par le risque terroriste. Plus localement, depuis plusieurs semaines, le quartier qui accueille le Vog a été marqué par des violences urbaines et des actes criminels. Soucieuse d’éviter les simplifications, les amalgames ou les troubles à l’ordre public, l’équipe municipale s’est interrogée sur la pertinence de maintenir l’exposition.
Il a donc d’abord été question d’annulation comme le Vog l’avait communiqué fin mars. Mais le maire et sa majorité ont changé d’avis la semaine dernière après « un débat en séance extraordinaire de l’exécutif » : l’exposition pourra finalement avoir lieu mais à plusieurs conditions :
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La décaler de deux semaines.
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Recentrer le catalogue uniquement sur les œuvres exposées.
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Et surtout, comme noté dans le communiqué, « occulter partiellement la vitrine très exposée du Vog afin d’éviter des incompréhensions de la part d’un public passant trop rapidement ».
« En aucun cas cet accompagnement de l’exposition ne peut être compris comme une entrave à la liberté artistique de l’exposant » poursuit le texte de justification de la Ville, qui se termine de façon lapidaire : « Néanmoins, l’artiste n’a pas accepté les dispositions proposées optant ainsi plutôt pour une annulation pure et simple. La Ville prend acte tout en exprimant ses regrets. » Façon de renvoyer la balle à Philippe Perrin qui serait lui-même responsable de la situation. Au mieux maladroit, au pire pas très honnête – si quelqu’un a la mairie change d’avis en lisant ces lignes et se décide à nous parler, on l’écoutera (et le questionnera) avec plaisir.
« Que des expos avec des bouquets de fleurs »
On a du coup passé un coup de fil à Philippe Perrin (il vit à Paris) qui nous a très vite répondu, avec un ton rock’n’roll et un tutoiement immédiat. « Ils ont annulé l’exposition il y a un mois et je n’ai toujours pas reçu de courrier officiel. J’ai simplement été mis au courant par Marielle Bouchard qui dirige le Vog [que nous avons également tenté de joindre mais qui n’a pas souhaité s’exprimer sur cette affaire – NDLR]. Je trouve ça assez scandaleux et je ne comprends vraiment pas comment ils agissent. »
Il poursuit : « J'entends les inquiétudes des élus même si je ne partage pas leur point de vue parce que si l’on commence à faire ça, on annule tout et on ne fait plus rien. Ou alors que des expos avec des bouquets de fleurs ! […] Le maire est peut-être très sympathique mais il est très mal entouré. Culturellement, ils ne sont sans doute pas au niveau d’un lieu comme le Vog qui n’a pas beaucoup de budget mais qui fait quand même des choses vachement bien. »
Sur Facebook où la polémique a été rendue publique la semaine dernière (Philippe Perrin a publié une petite tribune qui a eu du succès et répond à tous les commentaires le concernant), beaucoup crient à la censure : « Je n’ai jamais employé le mot censure, ce sont les autres qui le font. Ce n’est pas forcément celui que j’aurais choisi même si je peux comprendre ceux qui l’emploient. » Mais il y vient tout de même, évoquant « une directrice censurée dans ses choix » et une « contre-proposition de la Ville qui apparaît vraiment comme une censure ». « On m’a notamment demandé que les pièces qui seraient les plus "provocatrices" – entre guillemets comme il n’y en avait pas – soient cachées au fond. Mais comme elles le sont toutes à leurs yeux, toute l’exposition aurait dû être tassée au fond ! »
« Si on se met à être victime de nos peurs… »
Reste la question de son art qui a tant dérangé la Ville – c’est en validant le catalogue de l’exposition que l’équipe municipale a découvert la teneur du travail de Philippe Perrin et a visiblement eu peur qu’il soit mal interprété. « On peut mal l’interpréter si on essaie de mal l’interpréter ! Et on peut aussi se renseigner quand on n’est pas trop con pour essayer de comprendre ! Il paraît qu’en ce moment une poignée de dealers sème le bordel là-bas et qu’ils en ont peur : je peux comprendre. Mais c’est la merde partout ! Si on se met à être victime de nos peurs dans le choix des œuvres que l’on expose et si on considère les gens comme des incultes, où va-t-on ? » Il nous explique ainsi avoir appris l’annulation le jour des attentats de Bruxelles : « Je ne vois pas non plus le lien avec mon hommage au rock’n’roll, au cinéma, au roman noir, au polar… »
Son exposition n’aura donc pas lieu, Philippe Perrin refusant de céder aux demandes de la mairie. On ne pourra pas découvrir ses œuvres grandeur nature et en parler du seul point du vue artistique – le principal, qui est complètement devenu secondaire dans cette affaire. Mais la polémique, assez hallucinante (on ne va pas se lancer ici dans un discours sur le rôle de l’art), les aura tout de même mises en avant de manière détournée. C’est déjà ça.
Question pratique : le Vog sera du coup fermé jusqu’au 19 mai, date de la prochaine exposition.
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