Country for Old Bob

Country for Old Bob

Musique / Au crépuscule de sa carrière et au turbin de son Never Ending Tour depuis 22 printemps, Bob Dylan est revenu depuis quelques années à ses premières amours : la country et le blues, dignes grands-parents d'une des plus grandes œuvres musicales du XXe siècle. Stéphane Duchêne

Dans La République Invisible, l'un des indispensables ouvrages d'exégèse de Bob Dylan, Greil Marcus écrivait : «Bob Dylan ne donnait pas tant l'impression de se tenir à un tournant décisif de l'espace-temps culturel que d'être ce tournant décisif». Un résumé parfait de l'influence de Bob Dylan sur son époque : dans les années 60, Dylan n'était pas seulement le pilote, il était la route. Non qu'il l'ait souhaité : lui qui se voulait simple conteur comme son idole Woody Guthrie, bluesman comme Muddy Waters, poète comme Allen Ginsberg, ne s'était jamais réellement rêvé porte-parole d'une génération ou prophète folk.

Mais en art comme en religion, parfois le peuple choisit pour vous, vous hisse sur un autel ou vous colle sur une croix. Quoi qu'il en soit, Dylan a révolutionné la musique de son temps, mis l'Ancien Testament folk sur la carte de la branchitude, puis électrifié ce folk pour écrire quelques-unes des plus beaux évangiles rock de l'Histoire, cette fameuse trahison de Newport que les fans des débuts ont tenue pour un péché originel.

Le Zim' a vécu mille vies. Il a été l'égal des Beatles, qu'il initia à la drogue et à l'abstraction ; il a changé de Dieu (Juif, il s'est converti, a composé quelques mauvais albums de rock chrétien, avant de revenir à sa religion d'origine), quelques fois aussi de grand amour. Il a pris pas mal de substances interdites et froissé quelques susceptibilités par le seul pouvoir de la sienne aussi légendaire que sa musique, il n'a jamais joué deux fois une chanson de la même façon et a enfilé tous les costumes et tous les masques que les pratiques musicale, artistique, mystique lui ont permis. 

Country des origines

Bref, Bob est bien le personnage multiple capté par Todd Haynes dans I'm not there, où il est interprété par une demi-douzaine d'acteurs dont un enfant noir, une femme et même Richard Gere. Insaisissable, une route changeante, survireuse, escarpée, mais surtout un ruban de Möbius. Car, en dépit de tous les changements connus ou générés, il y a une chose à laquelle Bob Dylan est toujours revenu comme on rentre au stand. Une chose qui l'a toujours nourri de l'intérieur comme le fleuve Mississippi, dit-on, abreuve l'Amérique : son amour viscéral pour la musique des anciens, le blues, la country des origines, Muddy et Woody.

Sur son premier album, Dylan, encore inconnu au-delà des bars de Greenwich Village où son style fait parler, se contente quasi exclusivement (si l'on excepte deux chansons) de reprises de traditionals. Ces «chansons qu'on tient toujours de quelqu'un», écrivait-il dans ses Chroniques, sédiments de culture orale qu'on se transmet d'interprète en interprète, issus d'une époque où l'on ne gravait pas systématiquement sur micro-sillons. Une préhistoire à l'heure du mp3. 

Péquenaud des Appalaches

Après la percée folk et le tourbillon rock, Bob Dylan reviendra une première fois à ses racines country. En 1968, lors du come-back consécutif à son célèbre accident de moto qui le tint éloigné pendant trois ans de la scène et de fans trop entreprenants à son goût, et avec des albums comme John Wesley Harding ou Nashville Skyline, à complet contre-courant et sur lequel il recroise la route de Johnny Cash, déjà (et encore) démodé.

Il joue ensuite dans un western (le fabuleux Pat Garrett & Billy The Kid, dont il écrit la BO), se déguise en cow-boy. Un look qui ne le quittera plus guère. Et qu'il arbore aujourd'hui de manière plus flagrante encore, comme inspiré par son rôle de rocker paumé et messianique dans le nanar cosmique Masked & Anonymous (un titre aux airs de fantasme pour le chanteur en délicatesse avec la célébrité).

L'âge aidant et le génie l'ayant abandonné, comme il l'avoua dans les années 80, Bob Dylan est un peu devenu ce Jack Fate, un gardien du temple country, qui album après album et depuis Good as I Been To You en 1992, continue de perpétuer la tradition. Ce qui n'empêche pas quelques vraies réussites comme Time out of Mind (1997). Une sorte de retour aux origines pour celui dont on moquait à ses débuts le chant «trop hillbilly» (relaté sur Talkin' New York, 1962), en référence aux péquenauds des Appalaches, berceau de la country séminale.

Mais on peut aussi y voir un aveu : celui d'un attrait pour l'ancrage social du protest song, que malgré l'évidence il a toujours nié par coquetterie et que la country et le blues, musiques du peuple et du quotidien invivable, ont toujours eu chevillé au corps. Loin de se soucier d'avoir été un «tournant», Bob Dylan, au crépuscule de sa carrière, est revenu à ses premières amours comme on revient visiter son école maternelle en fin de vie, comme on retombe en enfance. Pour toujours et sans l'avoir jamais vraiment quittée.

Bob Dylan
À la Halle Tony Garnier, dimanche 20 juin.

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 20 juin 2023 L'annonce d'un (ou ici, à Lyon, deux) concert(s) de Bob Dylan laisse toujours planer une question : quel Dylan va-t-on trouver ? Qui va nous parler ? Une versatilité intrinsèque au chanteur/Prix Nobel qui trouve sa source dans un don rare : celui de...
Lundi 28 octobre 2013 A la poursuite de la chimérique Vérité dylanienne depuis près de 50 ans, et déjà auteur de plusieurs ouvrage sur la question, le critique rock et théoricien pop Greil Marcus compile près de 40 ans d'articles sur l'homme qui a révolutionné le rock....
Vendredi 25 janvier 2013 Où qu'il puise ses origines éparpillées, le folk aura toujours été une affaire de transmission. C'est bien là l'esprit de la double rencontre organisée à la (...)
Lundi 21 janvier 2013 {Awayland} (Domino/Pias)
Lundi 24 décembre 2012 Silver & Gold – Songs for Christmas (Vol. 6-10) (Asthmatic Kitty/Differ-ant)
Vendredi 27 avril 2012 Après "Cascadeur" l'an dernier, Rover est sans doute la révélation pop française de cette année. Un ovni romantique et bowie, dandy et bestial qui devrait envoûter par sa seule présence, les spectateurs du festival Changez d'Air. Stéphane Duchêne
Lundi 26 mars 2012 Et voici la programmation complète (ou presque, tant elle est riche) des Nuits de Fourvière 2012 ! Certains événements étaient déjà connus, mais s’y ajoutent d’excellentes surprises, qu’elles soient musicales ou théâtrales… Christophe Chabert
Mercredi 5 décembre 2007 I'm not there : le titre d'une chanson de Dylan, mais aussi le premier rébus d'un film à clé particulièrement bien verrouillé... I'm not her, I'm not he, I'm (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X