Hip-Hop / Après Metallic Butterfly, Destiny Frasqueri, alias Princess Nokia, se prépare à traverser l'Europe pour présenter 1992 : un projet novateur et rafraîchissant qui synthétise à merveille la vie et les combats de la prochaine grande figure du hip-hop américain.
Elle n'a pas encore 25 ans, mais est déjà une guerrière des plus expérimentées. Si chaque être humain est habité par ses propres conflits, peu d'entre eux décident de les affronter aussi férocement que Destiny Frasqueri, la Princess Nokia. Son combat, elle le vit sur tous les fronts, quotidiennement. Une lutte acharnée qu'elle a d'abord mené contre son destin.
Née à New York et élevée à Harlem, Destiny grandit entre misère et multiculturalisme enrichissant.
« Mon enfance a été très traumatisante (...). J'ai eu une enfance pétée, mais aussi très belle, créative, aventureuse. Harlem c'était la culture, l'art, les communautés »
expliquait-elle aux Inrockuptibles en octobre dernier. Un temps dealeuse, elle arpente les rues de la ville qui ne dort jamais à vélo, téléphone constamment vissé à l'oreille, d'où son nom de scène actuel. Elle ne va pas au bout de ses années lycée, mais use de sa débrouillardise pour s'enrichir au quotidien. Attirée par l'art depuis son plus jeune âge, la Nuyorican – mot utilisé pour désigner les Portoricains de New York – réalise rapidement que la musique sera le vecteur idéal de son deuxième plus grand combat : le féminisme.
Très tôt, Destiny comprend qu'elle doit agir contre une société patriarcale qui l'étouffe et la bride, elle comme toutes les autres filles de son âge. Elle s'engage, écrit, lit, se renseigne. Passe à l'action en fondant sa propre association, le Smart Girl club. « Je voulais botter le cul du patriarcat, pas en faire partie », expliquait-elle, toujours aux Inrockuptibles. Qu'importe le nom d'usage, Destiny, Wavy Spice ou Princess Nokia : la femme d'Harlem s'emploie à dénoncer les inégalités et à rendre le pouvoir accessible à tous et surtout, à toutes.
« Comme je le dis dans tous ces concerts dominés par les mâles : je veux toutes les filles au premier rang ! »
s'écrie-t-elle dans Destiny, un documentaire lui étant consacré. Sur Tomboy, morceau phare de son dernier EP 1992, sorti en septembre dernier, elle appelle ses semblables à se défaire des contraintes physiques imposées par la société : « avec mes petits seins et mon gros ventre (...) mon corps est petit mais mon âme est grande. » Engagée dans la lutte du mouvement LGBT américain, Princess Nokia ne se contente pas de chanter pour les femmes : elle le fait pour toutes les minorités qui souffrent du poids de la discrimination.
Elle changera la donne du hip-hop américain
Musicalement, Princess Nokia fait aussi dans le combat. Celui contre les stéréotypes d'un genre qui peine à se renouveler. Alors elle pioche dans sa jeunesse passée dans les block partys, l'âge d'or du hip-hop dans les années 1990, ou les souvenirs de ses soirées en club, dansant au son du dubstep, de la drum'n'bass ou de la jungle. Dans ses origines, aussi. Tout ça pour créer des instrumentaux d'un nouveau genre, puissants, rythmiques et accrocheurs.
« Avec Princess Nokia, je peux projeter les composantes multi-dimensionnelles de mon existence (...). Je peux m'aventurer dans tous les genres musicaux, dans tous les personnages que je veux sans confusion. Je fais de la musique mondiale qui parle à tout le monde »
confiait-elle à Bullett, en 2013. Armée de sa voix qui sait tantôt mitrailler des rimes et tantôt chanter, Princess Nokia surprend sans cesse. Et l'effet de surprise aide à gagner tous les combats.
Avec 1992, Destiny Frasqueri confirme ce que ses projets précédents laissaient déjà deviner : elle changera la donne du hip-hop américain. Parce qu'elle est habitée, passionnée et engagée. Parce qu'elle ne se contente pas de créer, elle évolue. Parce que partout où elle passe, elle laisse la même impression. On ne peut qu'admirer les personnes ayant choisi de vivre sans concession : elles sont aussi rares que passionnantes. Destiny Frasqueri combattra jusqu'à son dernier souffle, si ses adversaires ne rendent pas les armes avant. La bataille pour l'égalité entre les sexes et les êtres humains sera longue, mais le camp des optimistes vient de se trouver une nouvelle héroïne haute en couleurs.
Princess Nokia
Au Marché Gare le mardi 24 janvier
Playlist - You Are My Destiny
En seulement six ans, Destiny Frasqueri a produit une multitude de titres. Tous différents, ils sont le reflet de ses combats, de ses origines et de sa vision de la société. En voici cinq. Incontournables.
Brujas
Véritable hommage au hip-hop des années 1990, Brujas est avant tout une réflexion de l'artiste sur ses origines caribéennes. Avec un flow autoritaire posé sur un instrumental minimaliste, Princess Nokia explore son arbre généalogique en évoquant la mythologie entourant les brujas, ces sorcières effrayantes.
Tomboy
Pour tordre le cou aux clichés liés au hip-hop depuis trop longtemps, la princesse rend hommage aux garçons manqués. Pour elle, c'est simple : toutes les filles peuvent dominer le monde, même celles qui ne jouissent pas des attributs physiques des danseuses généralement présentes dans les clips. Une formidable ode à l'acceptation de soi.
Kitana
Trois minutes et seize secondes d'énergie pure et violente, à l'image de l'une des héroïnes de la série de jeux vidéos Mortal Kombat. Princess Nokia boxe avec ses mots et inculque le girl power aux sceptiques en utilisant la manière forte. Cogner fort pour faire rentrer ses idées profondément dans leurs crânes.
Dragons
Un instrumental drum'n'bass, une Princess Nokia qui ne rappe pas mais qui chante et des paroles inspirées de la romance entre Daenerys Targaryen et Khal Drogo, de la série Game of Thrones : voilà les ingrédients de cette piste pour le moins originale et hypnotique.
Young Girls
Titre le plus emblématique de la lutte féministe que mène Destiny Frasqueri, Young Girls est un hommage à la fertilité et aux mamans du monde entier et plus particulièrement aux jeunes mères adolescentes. « Elles sacrifient leur liberté et leur vie pour la donner. Les gens ne s'imaginent pas ce qu'elles traversent », expliquait la rappeuse au magazine Vice.