Gareth Edwards ose un remake gonflé avec cette version plutôt fidèle à la tradition et à ses déclinaisons, mais qui refuse la surenchère dans le spectacle, préférant les hommes aux monstres, la sidération visuelle à l'action pure.Christophe Chabert
Étrange blockbuster que ce Godzilla, où la frustration le dispute avec le sentiment d'assister à l'éclosion d'un auteur doué et intransigeant, suivant une ligne casse-cou dont il ne s'écarte jamais. C'est donc l'œuvre d'un cinéphile qui a réussi à digérer une tradition pour la synthétiser dans un geste assez gonflé de mise en scène. Car Edwards choisit son camp : celui des humains plutôt que des monstres, réduits la plupart du temps à un hors champ menaçant. Brassant une demi-douzaine de personnages que le film prend soin de présenter dans leur intimité familiale et leur environnement professionnel, le cinéaste semble adopter la voie Abrams pour faire renaître la mythologie Godzilla : on voit donc un père rongé par la culpabilité d'avoir sacrifier son épouse, délaissant un fils qui lui-même privilégie sa carrière militaire à sa présence auprès de sa femme et de son enfant.
Cette première demi-heure est un exercice de storytelling d'une évidente élégance formelle — superbe photo de Seamus McGarvey, musique inspirée d'Alexandre Desplat — mais très éloigné du film de monstres promis. Quand ils finissent par débarquer dans les plans, ils sont presque immédiatement remis à leur juste place : des apparitions furtives, tronquées, sinon simplement captées par des caméras vidéo. Exemple extrême de ce refus de filmer à hauteur de monstre : lors du premier affrontement frontal entre Godzilla et son nouvel ennemi, au moment où la baston va commencer, Edwards préfère suivre le personnage d'Elizabeth Olsen se réfugiant dans un abri dont les portes se ferment, laissant l'écran entièrement noir.
Où es-tu, Godzilla ?
Ce point de vue est évidemment courageux mais génère aussi sa part de déception. Del Toro dans Pacific Rim inventait des méca-humains pour se mettre au niveau de ses créatures géantes ; Edwards les regarde depuis la terre ferme comme des manifestations d'une nature devenue folle, soulignant l'impuissance et la vulnérabilité des personnages. C'est parfois authentiquement sidérant — la scène sur le pont, notamment, est un véritable morceau de bravoure — mais ce point de vue réaliste relève d'une économie figurative très éloignée du coûteux divertissement attendu.
Edwards préfère ainsi multiplier les visions saisissantes renvoyant aux catastrophes récentes — Fukushima, le Tsunami en Thaïlande, le 11 septembre ou l'ouragan Kathrina — plutôt que de rassasier notre appétit cathartique de destruction titanesque. Ça s'appelle l'intégrité, mais est-elle encore à la mode aujourd'hui ?
Godzilla
De Gareth Edwards (ÉU, 2h03) avec Aaron Taylor Johnson, Ken Watanabe, Bryan Cranston...