Absent des écrans depuis quinze ans, Zulawski nous revient enfin avec la transposition d'un roman de son compatriote Witold Gombrowicz. Convulsivement fascinant et d'un humour mâtinée d'inquiétude...
Il n'est jamais anodin pour un cinéaste de renouer avec son art après une période d'abstinence. Et le film par lequel il revient, conjointement chargé du poids de son œuvre passée et de l'espérance placée en son retour, doit s'imposer par ses qualités, tout en rappelant l'absolue originalité de son auteur. Justifier, en somme, que l'artiste ait décidé d'interrompre le cours de son silence. Tel L'Homme sans âge, marquant en 2007 la sortie de Coppola de dix ans de mutisme — une formidable et audacieuse proposition de cinéma, amorçant un glissement vers des formes moins narratives et davantage expérimentales (Tetro puis Twixt).
On attendait pareille fulgurance de la part de Zulawski, dont chaque réalisation possède un étrange pouvoir d'envoûtement, un charme quasi maléfique mais délicieux. Si on le savait travailler à un scénario original, c'est dans le roman de Gombrowicz qu'il a trouvé un matériau apte à déclencher son envie d'écrire pour tourner — un matériau modelé et remanié pour épouser sa manière.
Espèce d'espace
Cosmos s'apparente à un voyage intersidéral bouclé en un lieu clos : la villa de Madame Woytis où logent Witold l'étudiant et son compère Fuchs. Dans cet espace physique contraint, tout semble cependant mouvant — ce qui conduit à une instabilité permanente, une sorte de trouble de l'équilibre généralisé. Zulawski aime imposer à ses personnages de l'urgence en les rasant avec brusquerie en contre-plongée ; il les oblige également à faire leur place dans le cadre et la bande-son, où leur voix doit lutter contre une musique recouvrante — procédé magnifié dans L'Important c'est d'aimer (1975).
Ici, avant même l'apparition de menaces concrètes, Witold est déjà placé en situation de stress, étouffé par la caméra. Les ellipses et l'activation d'un hors-champ inquiétant (des animaux pendus sont retrouvés dans le jardin) alimentent son imaginaire hystérique, déjà bien excité par les fantasmes suscités par une servante à la bouche contrefaite. Choix excellent que ce Jonathan Genet alias Witold : avec ses poses hallucinées dignes d'un tableau de Courbet, sa silhouette entre Louis Garrel, Antonin Artaud et Jean-Pierre Léaud, il incarne à merveille l'exaltation fétichiste se muant, jusqu'au vertige, en inspiration frénétique. Si surjeu il y a, il n'est jamais ridicule : Zulawski nous convie à l'orée d'un monde parallèle entre réalisme et fausseté, avant de nous offrir, déjouant les conventions, une belle fin disloquée en forme de feuille d'ardoise...
Cosmos
De Andrzej Zulawski (Fr/Por, 1h42) avec Sabine Azéma, Jean-François Balmer, Jonathan Genet...