Quand, le 29 janvier 1971, Yves Saint Laurent présente la robe ci-dessuslors d'un défilé d'une collection consacrée aux années 40, le scandale éclate : de l'avis général, il est encore trop tôt pour transformer en luxe des souvenirs douloureux. A l'époque, le couturier n'est pourtant pas un débutant. Il est même adulé par tout son milieu. Mais voilà que les chroniqueurs de mode l'accusent d'avoir présenté la collection «la plus laide de Paris». L'objet du délit : avoir utilisé les codes des années sombres.
La robe en question est ainsi confectionnée à partir de tissus artificiels, ceux utilisés sous l'Occupation faute de mieux, près du corps (une contrainte liée à la pénurie et donc à l'impossibilité de rassembler de quoi tisser des vêtements amples), épaulée et assortie de chaussures à talons compensés et d'un turban dans les cheveux. Elle signe aussi un retour en arrière pour Saint Laurent, qui avait su mettre des pantalons aux femmes dans les années 60.
Mais plus que pour ses fautes de goût, le couturier est vilipendé pour avoir commis «une faute sexuelle, morale, politique. Les images de ces Françaises qui avaient couché avec les Allemands sous l'Occupation revenaient comme un album de clichés refoulés», ainsi que l'affirme Farid Chenoune, historien de la mode, dans le catalogue de l'exposition Pour vous, mesdames !. Logique dès lors, qu'en plein mouvement hippie et féministe, ce mélange un rien putassier entre la féminité des dames du bois de Boulogne et celles de l'avenue Montaigne soit conspué.
Largement réévalués depuis, ces vêtements figurent désormais parmi les plus modernes de son œuvre. Avec cette collection devenue mythique, il a surtout inventé la mode dite "rétro" et démontré avec talent que la mode est un éternel recommencement.
Nadja Pobel