Art Contemporain / À travers un parcours simple et ouvert à tous, Ann Veronica Janssens propose de multiples expériences artistiques désorientant et élargissant nos perceptions visuelles.
Traverser un frêle rideau de vapeur d'eau, contourner une surface bleue pailletée comme jetée sur le sol du musée, regarder au ralenti des particules blanches et cotonneuses s'échappant d'un vaporisateur... Telles sont quelques-unes des nombreuses expériences visuelles, et plus largement perceptives, que propose l'artiste d'origine britannique Ann Veronica Janssens (née en 1956 et vivant actuellement à Bruxelles) à l'Institut d'Art Contemporain.
Depuis la fin des années 1970, Ann Veronica Janssens réalise principalement des œuvres in situ à partir de matériaux très simples (bois, verre, béton...) qui provoquent chez le spectateur des sensations physiques directes, en relation avec l'architecture du lieu. Pour son exposition monographique à Villeurbanne, l'artiste explique s'être focalisée en particulier sur des œuvres, récentes ou anciennes, « où il y a peu de choses préhensibles, et beaucoup d'idées de mouvement, de transformation.. »
L'impalpable (la lumière et son spectre de couleurs, la brume, les particules invisibles à l'œil nu...) prend ici paradoxalement forme et apparence, mais des formes et des apparences en perpétuel changement. Le parcours de l'exposition est accompagné aussi d'un bruit sourd d'explosion, un son violent et inquiétant, contrastant avec la légèreté et la poésie des œuvres présentées.
Sculptures immatérielles
La lumière traverse à l'IAC tous les états de la matière : liquide, solide, gazeux. Et dans ces "blocs lumineux", Ann Veronica Janssens sculpte (l'artiste s'est souvent définie comme « sculpteur ») ses œuvres, comme cette grande et très belle étoile, Rose (2007), se formant peu à peu sous nos yeux, et composée des faisceaux de sept projecteurs capturés dans une brume en suspension.
Ou comme ces aquariums contenant de l'eau et de l'huile de paraffine au sein desquels s'opèrent différents phénomènes optiques de réfraction et de disparition de la couleur... Parfois, c'est le visiteur lui-même qui sculpte l'impalpable en traversant notamment l'un des célèbres "brouillards colorés" de l'artiste. Ici, il s'agit d'un environnement de brouillard blanc, le premier réalisé par l'artiste en 1997 à Anvers, où l'on ne voit même plus ses pieds, et où (non sans un soupçon d'angoisse parfois) on se retrouve littéralement au milieu de nulle part !
Cette perte des repères sensoriels, cette invitation à percevoir les choses et notre environnement autrement est l'une des autres grandes composantes de l'œuvre d'Ann Veronica Janssens.
Laboratoire d'idées
L'agréable et clair parcours de l'exposition s'enroule en spirale autour d'un espace central intitulé Le cabinet en croissance. Là, fourmillent pêle-mêle des vidéos projetées, de petites ou grandes sculptures, des mini-installations... Ce sont autant d'expérimentations, de prototypes, de maquettes d'œuvres encore inachevées.
On y découvre des pépites comme cette sculpture miniature réalisée avec de l'aérogel, le matériau le plus léger au monde, ou des films d'éclipses solaires tournés en Mongolie... Ce cabinet rappelle l'intérêt de l'artiste pour les connaissances scientifiques (physique, optique, astrophysique, neurosciences...), et son appui sur celles-ci pour réaliser ses œuvres.
Ce croisement entre les sciences et les arts, avec pour enjeu principal nos modes de perception, rappelle la démarche des impressionnistes puis des pointillistes qui eux-aussi s'étayaient sur les savoirs de leur époque, les lois du mélange des couleurs de Chreveul en particulier. Avec d'autres médiums, et à une autre ère, Ann Veronica Janssens poursuit cette quête passionnante d'un élargissement de nos capacités perceptives.
Ann Veronica Janssens, Mars
À l'Institut d'Art Contemporain jusqu'au 7 mai
En résonance
Plusieurs événements culturels lyonnais résonnent particulièrement avec l'univers plastique d'Ann Veronica Janssens et son approche à la fois sensible et scientifique de la création :
- L'exposition de Meris Angioletti et de Flora Moscovici (à la BF15 jusqu'au 27 mai) qui toutes deux s'appuient sur la qualité de la lumière du centre d'art. La première déploie une sorte de partition plastique entremêlant plans colorés, textes et pièce sonore (Thema de Berio) ; la seconde crée un environnement pictural sur les cimaises de la BF15, partant du gris du sol jusqu'à l'incandescence de la lumière solaire.
- La publication par les Presses Universitaires de Lyon de Machines à voir, une passionnante anthologie (réunissant 200 textes et beaucoup d'illustrations) établie par Delphine Gleizes et Denis Reynaud, sur les "instruments à regard" les plus sérieux ou loufoques (microscope, diorama, lanterne magique...) du 17e au 19e siècle.