Le Temps d'un Gitan

Le Temps d'un Gitan

Portrait / Goran Bregovic aura été un rock star en son pays, un compositeur exilé mais aussi l'homme qui a fait renaître de ses cendres Iggy Pop. C'est désormais avec son Orchestre des Mariages et des Enterrements que Goran fout le feu sur scène. Itinéraire d'un enfant des Balkans.Antoine Allegre

L'ami Goran va mieux, merci. Après sa malheureuse chute d'un arbre, il avait dû annulé sa date parisienne du 21 juin au Palais Royal. Trois semaines de repos forcé, c'est quelque chose d'assez surprenant pour un excité de la trempe de Bregovic. Car, très tôt, le natif de Sarajevo est tombé tête première dans le grand bain du rock. À seize ans, l'adolescent fonde sa première formation rock juvénile Bijelo Dugme (Le Bouton Blanc) et en fait l'un des groupes les plus célèbres de l'ex-Yougoslavie. Sa mère, Serbe, et son père, Croate, le poussent malgré tout à entamer des études de philosophie et de sociologie, histoire de devenir professeur et de moins brailler sur une guitare saturée. Mais voilà... "Professeur de philosophie ? Assurément le métier le plus triste au monde. Qui a besoin de philosophie à l'âge de 17 ans ?". Certainement pas Goran Bregovic, son truc c'est le rock'n'roll.
"Le rock tenait à l'époque un rôle capital dans notre vie. C'était la seule possibilité que nous avions de faire entendre notre voix, d'exprimer notre mécontentement sans risquer de nous retrouver en tôle /.../ j'ai fait mon disque, et il m'a littéralement sauvé la vie". Le succès est quasi-immédiat. Lui et sa clique deviennent de véritables stars en leur pays. L'hystérie totale.Stature excessivement pesante pour un tout jeune artiste, "après quelques années, c'est devenu une routine et je jouais avec de plus en plus de difficulté".
En 1989, Goran en a soupé du rock "qui a toujours besoin d'amplifier tout, l'image, le son, les personnages /.../ j'ai découvert un moyen de faire la musique sans toutes ces choses un peu ridicules. Alors quand je regarde cette période rock, j'ai parfois un peu honte". Surexposé, il s'écarte de la lumière en sa payant une petite bicoque sur la côte Adriatique pour refondre sa musique en paix. En naîtra la bande-originale du troisième film de son collègue et ami depuis les années 1970, Emir Kusturica, "Le Temps des Gitans". Le calme apparent ne sera que de trop courte durée. Arizona dream team
En 1990, les guerres en Yougoslavie éclatent, les six nations de la république fédérale socialiste de Yougoslavie se déchirent. Comme un million de ses compatriotes, Goran Bregovic est poussé vers l'exil (à Paris et aux États-Unis) "une position humainement proche de la panique, mais artistiquement très précieuse". C'est loin de leur contrée natale que Kusturica et Bregovic se retrouvent et signent ensemble quelques scores de films mythiques. La mise en scène hystérique d'Emir alliée à la musique joyeuse et d'apparence bordélique de Goran : une vraie dream-team au service de l'amour du désordre. Ensemble, ils font forts, Bregovic arrivant même à ressusciter la carrière moribonde d'un Iggy Pop plus sec que jamais en 1992 sur la sublime bande-originale d'Arizona Dream. Il réalisera tout à long de sa carrière la bande-son d'une douzaine de long-métrages dont une magnifique collaboration avec la diva cap-verdienne Cesaria Evora pour le film Underground. Il fonde au même moment son Orchestre des Mariages et des Enterrements et décide ouvertement de "ne plus se cacher un habillage rock ridicule".
Empruntant autant à Gershwin, Bartok qu'à ses racines musicales et traditionnelles, Bregovic compose la musique pour cet ensemble philharmonique. L'entrain aura évidemment eu raison de la philharmonie policée : "j'ai voulu virer beaucoup d'instruments classiques qui étaient trop bien accordés pour ma musique à mon goût /.../ les bois sont remplacés par des instruments traditionnels, et les percussions par d'anciens cuivres militaires. Dans le chœur, il n'y a que des hommes, des chanteurs de l'église orthodoxe". Avec son équipée sauvage, il s'attaque en 2004 à Carmen, le mythe de Bizet. Qu'il broie à travers son prisme festif et goguenard, se payant même le luxe de rebaptiser l'opéra "Karmen (avec une fin heureuse)". Une version qui permettrait aux petits orchestres de pouvoir jouer cet opéra pour le prix d'un pourboire, dans un mariage ou une fête. Le message est clair : repatiner l'opéra pour une audience désordonnée qui ne se comporte pas forcément comme le public habituel de l'opéra. Constamment tourné vers la célébration, il reforme en 2006 Bijelo Dugme son groupe de jeunesse pour une série de trois concerts historiques sur ses terres portant encore les séquelles de la guerre : Sarajevo, Zagreb et Belgrade. La fête rassemble Serbes et Croates, sans heurt. Typiquement à l'image de la musique de Bregovic : un large sourire édenté, de la rondeur dans le cuivre, des chœurs tire-jus, un joyeux bordel et un souffle puissant dès que la machinerie se met en place.Goran Bregovic
Mars 1950 : Né à Sarajevo. Maman Serbe. Papa Croate.1966 : Son premier groupe de rock juvénile Bijelo Dugme (le Bouton Blanc) voit le jour.1989 : Fin de cette aventure rock. Résultat : 13 albums produits et 6 millions de disques vendus. Lessivé par le rock et le star system, il se met au vert sur la cote Adriatique.1990 : Réalise la bande-orignale du film d'Emir Kusturica "Le Temps des gitans", son pote et proche collaborateur depuis les années 70.Juin 2005 : Fin de la guerre en ex-Yougoslavie ; il reforme Bijelo Dugme et joue trois concerts événements dans son pays.2006 : Son Orchestre des Mariages et des enterrements dépote et fait le tour du monde.

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Jeudi 31 octobre 2024 Fuyant la facilité, Le Petit Bulletin vous propose un nouveau rendez-vous avec son habituel calendrier sonore. Si selon la Ronde des mois de Rosemonde Gérard « novembre a toutes les chansons, des ruisseaux débordant d’eau claire », nous vous...
Vendredi 25 octobre 2024 Pas le temps de crapahuter trop loin ? Alors cap sur l’Ain, les prémices de la Dombes et les berges de Saône du côté de Montmerle, de l’étang de Vernange et la stupéfiante cité d’Ars, avec son curé légendaire devenu cire.

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !