Portrait / Goran Bregovic aura été un rock star en son pays, un compositeur exilé mais aussi l'homme qui a fait renaître de ses cendres Iggy Pop. C'est désormais avec son Orchestre des Mariages et des Enterrements que Goran fout le feu sur scène. Itinéraire d'un enfant des Balkans.Antoine Allegre
"Le rock tenait à l'époque un rôle capital dans notre vie. C'était la seule possibilité que nous avions de faire entendre notre voix, d'exprimer notre mécontentement sans risquer de nous retrouver en tôle /.../ j'ai fait mon disque, et il m'a littéralement sauvé la vie". Le succès est quasi-immédiat. Lui et sa clique deviennent de véritables stars en leur pays. L'hystérie totale.Stature excessivement pesante pour un tout jeune artiste, "après quelques années, c'est devenu une routine et je jouais avec de plus en plus de difficulté".
En 1989, Goran en a soupé du rock "qui a toujours besoin d'amplifier tout, l'image, le son, les personnages /.../ j'ai découvert un moyen de faire la musique sans toutes ces choses un peu ridicules. Alors quand je regarde cette période rock, j'ai parfois un peu honte". Surexposé, il s'écarte de la lumière en sa payant une petite bicoque sur la côte Adriatique pour refondre sa musique en paix. En naîtra la bande-originale du troisième film de son collègue et ami depuis les années 1970, Emir Kusturica, "Le Temps des Gitans". Le calme apparent ne sera que de trop courte durée. Arizona dream team
En 1990, les guerres en Yougoslavie éclatent, les six nations de la république fédérale socialiste de Yougoslavie se déchirent. Comme un million de ses compatriotes, Goran Bregovic est poussé vers l'exil (à Paris et aux États-Unis) "une position humainement proche de la panique, mais artistiquement très précieuse". C'est loin de leur contrée natale que Kusturica et Bregovic se retrouvent et signent ensemble quelques scores de films mythiques. La mise en scène hystérique d'Emir alliée à la musique joyeuse et d'apparence bordélique de Goran : une vraie dream-team au service de l'amour du désordre. Ensemble, ils font forts, Bregovic arrivant même à ressusciter la carrière moribonde d'un Iggy Pop plus sec que jamais en 1992 sur la sublime bande-originale d'Arizona Dream. Il réalisera tout à long de sa carrière la bande-son d'une douzaine de long-métrages dont une magnifique collaboration avec la diva cap-verdienne Cesaria Evora pour le film Underground. Il fonde au même moment son Orchestre des Mariages et des Enterrements et décide ouvertement de "ne plus se cacher un habillage rock ridicule".
Empruntant autant à Gershwin, Bartok qu'à ses racines musicales et traditionnelles, Bregovic compose la musique pour cet ensemble philharmonique. L'entrain aura évidemment eu raison de la philharmonie policée : "j'ai voulu virer beaucoup d'instruments classiques qui étaient trop bien accordés pour ma musique à mon goût /.../ les bois sont remplacés par des instruments traditionnels, et les percussions par d'anciens cuivres militaires. Dans le chœur, il n'y a que des hommes, des chanteurs de l'église orthodoxe". Avec son équipée sauvage, il s'attaque en 2004 à Carmen, le mythe de Bizet. Qu'il broie à travers son prisme festif et goguenard, se payant même le luxe de rebaptiser l'opéra "Karmen (avec une fin heureuse)". Une version qui permettrait aux petits orchestres de pouvoir jouer cet opéra pour le prix d'un pourboire, dans un mariage ou une fête. Le message est clair : repatiner l'opéra pour une audience désordonnée qui ne se comporte pas forcément comme le public habituel de l'opéra. Constamment tourné vers la célébration, il reforme en 2006 Bijelo Dugme son groupe de jeunesse pour une série de trois concerts historiques sur ses terres portant encore les séquelles de la guerre : Sarajevo, Zagreb et Belgrade. La fête rassemble Serbes et Croates, sans heurt. Typiquement à l'image de la musique de Bregovic : un large sourire édenté, de la rondeur dans le cuivre, des chœurs tire-jus, un joyeux bordel et un souffle puissant dès que la machinerie se met en place.Goran Bregovic
Mars 1950 : Né à Sarajevo. Maman Serbe. Papa Croate.1966 : Son premier groupe de rock juvénile Bijelo Dugme (le Bouton Blanc) voit le jour.1989 : Fin de cette aventure rock. Résultat : 13 albums produits et 6 millions de disques vendus. Lessivé par le rock et le star system, il se met au vert sur la cote Adriatique.1990 : Réalise la bande-orignale du film d'Emir Kusturica "Le Temps des gitans", son pote et proche collaborateur depuis les années 70.Juin 2005 : Fin de la guerre en ex-Yougoslavie ; il reforme Bijelo Dugme et joue trois concerts événements dans son pays.2006 : Son Orchestre des Mariages et des enterrements dépote et fait le tour du monde.