Ez3kiel fête ses vingt ans de carrière avec un album, Lux, qui allume des feux plus qu'il n'éteint des bougies. A l'occasion de la présentation de son pendant scénique cette semaine au Transbordeur, retour sur le parcours, superbement anachronique, du plus électrique des groupes de dub – ou du plus vaporeux des groupes de rock.Benjamin Mialot
«La marche des vertueux est semée d'obstacles» dit le dixième verset du vingt-cinquième chapitre du livre d'Ézéchiel – celui que récite d'un ton vengeur Samuel L. Jackson dans Pulp Fiction, référence primordiale du groupe. Celle d'Ez3kiel débute logiquement de manière mouvementée, à Tours en 1993. D'abord power trio, Ezekiel (alors avec un e) s'agrandit rapidement d'un deuxième guitariste et d'une chanteuse... qui mettra les voiles en 1999, emportant avec elle l'un des fondateurs de ce qui n'est alors qu'un succédané adolescent de Rage Against the Machine et Fishbone. Ce retour circonstanciel à la case trio, Yann Nguema (basse), Matthieu Fays (batterie) et Johann Guillon (guitare) le convertissent en nouveau départ, taciturne celui-ci, ainsi que l'explique ce dernier : «Cet épisode a coïncidé avec l'achat de notre premier sampler et de notre première groovebox. La transition vers des morceaux instrumentaux s'est donc faite de manière instinctive. D'autant que derrière les musiques qu'on commençait à écouter à l'époque, il n'y avait pas de "gens"».
Ces musiques, la jungle, le trip hop, le post-rock et, surtout, le dub industriel et collaboratif tel que le personnifie le producteur britannique Adrian Sherwood, les trois camarades commencent à les hybrider sur l'EP Equalize It, excessif et néanmoins prometteur. Initiative rarissime à l'époque des modems crachotants, Yann crée dans la foulée un site web sur lequel il pose les bases de l'imagerie baroque et mécanique dans laquelle s'incarnera la musique d'Ez3kiel (désormais avec un chiffre, pour cause de nom de domaine indisponible) et à laquelle il finira par se consacrer entièrement.
Premiers soins
Pour l'heure le groupe, mu par une démarche qui tient plus de l'expérimentation que de la composition, approfondit ses recherches sur la miscibilité des syncopes à effet d'écho et des textures à haute tension sur son premier album. Publié en 2001 par Jarring Effects, noyau de la scène dite novo dub autour de laquelle gravitent nos trois électrons, et délibérément autant soigné sur le fond que sur la forme, Handle with Care est à l'image de la ménine défigurée par un effet d'optique que figure sa pochette : écartelé entre les époques et d'un grand raffinement sous des apparences monstrueuses. En particulier le morceau éponyme où, sur un riddim d'un classicisme à filer le tournis à un collectionneur de dubplates, Yann Tiersen tire de son violon des notes chargées de regrets, inaugurant une longue série de rapprochements orchestraux.
Le plus emblématique intervient dès le disque suivant, Barb4ry (2003), en amont duquel le groupe troque définitivement son kit du petit généticien pour un laboratoire, assez spacieux pour accueillir le quatuor anarcho-acoustique DAAU – Angelo Moore de Fishbone se contente lui de passer, comme un souvenir de premier amour – avec le concours duquel il signe, du lancinant concerto pour clarinette et gros oinj 3 rue de Monplaisir à l'implacable Versus, lecture hip-hop du contenu de la boîte de Pandore, des morceaux qui sont autant de bandes-son orphelines. Collectif multimédia avant l'heure, Ez3kiel leur donnera un ancrage visuel sur scène, le temps de concerts à quatorze mains en tous points magistraux. Et ce ne sera qu'un début.
Zone d'autonomie permanente
D'une création avec Nosfell aux Eurockéennes (2005) au récent Extended Tour, le long duquel il revisitait son répertoire avec cordes, cuivres et métallophones, en passant par un clash retentissant avec les pionniers noise de Hint (2009), Ez3kiel devient en effet coutumier des osmoses pharaoniques. De la part d'un groupe qui a fait vœu de silence jusque dans son processus de création, c'est une gageure. C'est aussi, en pleine crise du disque, un réflexe de survie : «On est d'une génération de groupes qui s'est faite connaître en jouant. Il n'y a de toute façon que par ce biais qu'on peut présenter toute l'étendue de notre travail. Un disque n'est qu'une partie d'Ez3kiel».
La plus funeste dans le cas de Battlefield (2008), impressionnant maelström de guitares de plusieurs mégatonnes (Wagma, où le corbeau de l'artwork se déploie jusqu'à atteindre l'envergure de Pelican) et de cuivres apocalyptiques (The Montagues & the Capulets, transcription pour fanfare déplumée de l'opus 64 du Romeo & Juliette de Prokofiev). La plus rêveuse dans celui de Naphtaline (2007), ensemble de variations post-pop sur le thème de la berceuse qui se déclinera sous toutes les formes possibles et imaginables (dont une exposition interactive qui voyagera jusqu'à l'expo universelle de Shanghai et quelques prestigieux concerts symphoniques). Coïncidant avec l'arrivée du multi-instrumentiste Stéphane Babiaud au sein du groupe, Naphtaline scellera aussi son affranchissement économique : «On a vu des potes qui, dès que leur musique a commencé à marcher au point qu'un entourage s'en mêle, n'ont pas réussi à aller plus loin. On a appris de leurs erreurs. Aujourd'hui, il nous faut plus de temps qu'à d'autres pour que les choses avancent, mais personne ne nous dit ce qu'on doit faire. C'est un vrai luxe». A double titre.
Ez3kiel [+ Dorian & the Dawn Riders]
Au Transbordeur jeudi 11 décembre