Portrait / À 33 ans, Benoit Bel, fondateur du Studio Mikrokosm de Villeurbanne s'affirme patiemment et avec modestie comme un producteur à la réputation grandissante. Un commencement qui est aussi le début d'aboutissement d'une vie faite d'allers et retours avec une passion bien ancrée et dont il n'a jamais réussi à se défaire : le son.
En 2014, invité à la suite d'un concert lyonnais pour une session et un show case privé, le petit génie indé pop bostonien Chris Garneau quitta Mikrokosm en lançant que s'il enregistrait un nouvel album, ce dont il doutait alors profondément, il le ferait dans ce studio villeurbannais. Modeste ou réaliste, le maître des lieux, Benoît Bel, qui partage pourtant un ami commun, Max Vavasseur, avec l'Américain, n'y crut guère : « j'ai pris ça pour de la politesse », dit celui qui a pourtant accueilli lors de ses sessions live baptisées Mikrosessions des pointures telles que Jay-Jay Johanson, Thurston Moore ou Herman Düne.
Il faut croire que ce studio empreint de magie, de chaleur et d'authenticité, sis au fond d'une cour intérieure ombragée dans une ancienne usine, est enclin à favoriser les belles histoires. Peut-être parce que celle de son créateur et gérant ne l'est pas moins. Celle d'un petit garçon qui n'imaginait évidemment pas que le métier de producteur existât mais enregistrait sur un magnéto quatre pistes des remixes de générique de jeux vidéos Tortues Ninja ou de morceaux de Jean-Michel Jarre. « Des karaokés pour instrument », première marque, pas banale et presque invisible, d'un travail de producteur-ingénieur du son-arrangeur.
Chez Benoit Bel, la musique est très tôt présente mais ne cesse de faire des aller-retours, tant le garçon est tiraillé, peut-être du fait de son signe astrologique, gémeaux, pense-t-il, entre :
« l'envie de vivre des choses extraordinaires et l'envie d'une normalité extrême. »
Un peu pianiste, il intègre en 6e la maîtrise de la Loire, où il se bâtit une éducation classique, se plaît et s'ouvre aux autres, lui l'ancien timide maladif. Sauf que ses copains lui manquent et qu'à côté, Carl Orff et Wagner ne font pas le poids.
Filles, moto-cross et sport
Réintégrant le cursus normal, Benoit laisse de côté la musique pour les filles, le motocross, le sport, bref, l'adolescence. Puis revient à la musique vers 18 ans avec son pote Max Vavasseur – futur collaborateur de Chris Garneau, donc. De nouveau, Monsieur Jourdain de la console, il se retrouve à faire de la production sans le savoir :
« J'ai découvert alors qu'il existait des logiciels qui permettaient d'enregistrer de la musique. C'était mon premier pas autodidacte dans ce monde-là, parce que je savais faire, mais j'ignorais qu'on pouvait en faire un métier. Je ne me posais pas la question de savoir comment la musique était fabriquée. »
Sans doute la raison pour laquelle il se dirige alors vers des études de kiné qu'il abandonne néanmoins au bout d'un an, se découvrant peu motivé et « pas très tactile », handicap notoire dans la pratique de ce métier. Lorsqu'il s'ouvre à son père de son désir de vouloir explorer le monde du son, qui toujours le rattrape, via un ami ou un autre, celui-ci, loin de se braquer comme le font généralement les parents sur l'air de "trouve-toi un vrai métier", l'encourage dans sa démarche. Benoit intègre alors la SAE à Paris, en revient sans réseau ni perspectives, avouant ne s'en être pas vraiment soucié, et s'enferme en attendant dans la chapelle du château familial de Max Vavasseur pendant quatre mois pour enregistrer l'album de leur projet Haunted Candy Shop.
Canada, Irlande, Islande
Le calme étant par ailleurs plat, il rassemble quelques Damart et s'envole sur un coup de tête pour Montréal où, magie du Québec et quelques petits jobs plus tard, il recroise sa vocation avec une offre de travail dans un petit studio. Comme il s'agit aussi de donner des coups de main de ci de là, le voilà faisant le grand écart entre le Studio Victor (Garou, Céline Dion) et l'Hotel2Tango du label Constellation. Un oubli de renouvellement de visa et quelques factures impayées le mettent de force dans l'avion du retour, non sans regrets :
« On me proposait de m'associer dans des aventures dont certaines ont débouché sur de beaux studios, qui ont contribué à faire la scène montréalaise qu'on connaît. »
Entre une migration ratée à Dublin avec sa compagne, des enregistrements mobiles entre Roanne et Lyon (on lui doit le premier Benjamin Fincher), des panouilles de sonorisation pour une boîte d'événementiel (« un truc que je m'étais juré de ne jamais faire »), Benoit passe aussi du temps à converser via feu MySpace, cette regrettée messagerie de tous les possibles, avec un certain Valgeir Sigurdsson.
Le producteur de Björk collectionneur de Grammy et propriétaire du studio Greenhouse à Reykjavik finit par lui offrir de venir tâter de la console en Islande. Il y passe un an où il fait plus que ses armes dans un lieu aussi exigeant qu'empreint de coolitude :
« Au-delà de l'apprentissage du métier, ça a confirmé une intuition profonde sur la manière dont j'avais envie de travailler. J'ai compris que la technique n'était pas indispensable mais que plus on en avait, plus on était force de propositions. C'était génial de passer de séances de néo-classique emmenées par Nico Muhly et le philharmonique de Reykjavik à la finalisation de projets de toute une scène anglaise hyper fertile. On était au carrefour de pleins de choses. »
Ce carrefour, en dépit des propositions qui lui sont faites de rester, Benoit Bel va encore devoir le quitter, par amour cette fois : « J'avais des scrupules à faire venir ma copine alors que je bossais non stop. Comme je suis quelqu'un de très sentimental, je me suis résigné à rentrer. Mais j'étais remonté comme un coucou. Je voulais recréer ce que j'avais vu mais aucune idée de par où commencer. »
Implication artistique
La rencontre avec un certain Philippe Dersy, producteur audiovisuel, l'oriente vers une solution : mutualiser des moyens pour monter un espace culturel alternatif qui contiendrait son propre studio. Le jeune homme fonce tête baissée : recherche de locaux, emprunt, un an de travaux dantesques et voilà Mikrokosm qui accueille en 2011, ses premiers enregistrements : Belle Arché Lou, Rien, Benoit Pioulard, Peter Solo et surtout Griefjoy en 2012 qui permet au studio de se faire une réputation nationale, qui est aussi celle du maître des lieux.
De son travail justement, Benoit Bel dit qu'il opère à des degrés d'investissement très différents : « ce que j'aime, dit-il, c'est m'insérer sur un segment utile » : du simple travail d'ingé-son à l'implication artistique totale comme il l'a fait récemment pendant plus d'un an avec le groupe lyonnais Brainbow, « disque littéralement inventé en studio », ou aux côtés de Chris Garneau : « un livre ouvert où chacun griffonnait son truc. De loin le disque le plus collaboratif auquel j'ai pu participer. » Et dont il parle avec émotion.
Pour autant, à 33 ans, et après six ans d'activité, Benoit, peut-être parce qu'il regarde vers l'avant et ne pense que « développement » ne prétend pas avoir le recul nécessaire pour juger de son éventuelle patte, ni se prétendre arrivé :
«Je me rends compte que mon travail est reconnaissable, on me le dit, mais je suis incapable d'en expliquer le processus. C'est un truc essentiel quand on aspire à une carrière de producteur et j'espère que je pourrai dire un jour que j'ai eu une carrière de producteur. Peut-être que je ne suis pas loin, parce qu'il y a des projets d'envergure qui vont sortir, comme le Chris Garneau, de passer un certain cap de notoriété. Mais aujourd'hui, je pense qu'on vient moins me chercher pour ma signature sonore, que pour mes qualités humaines et la personnalité du lieu. Quand ce sera pour tout ça à la fois, j'en serai très heureux. »
Le fait qu'après Chris Garneau, un groupe aussi aguerri que Dionysos débarque bientôt au studio pour son prochain disque est sans doute le signe que pour Benoit Bel et Mikrokosm, ces étoiles-là sont en train de s'aligner. Et figurent plus que de belles promesses.