1997-2017 : 20 ans dehors ! / À Villeurbanne, six ans durant, une petite salle de 300 agités a aiguisé les curiosités et chamboulé tous les équilibres en place, permettant l'éclosion d'une scène locale et nourrissant ceux qui font vivre le rock indé à Lyon aujourd'hui.
Goz of Kermeur, un soir d'Halloween. C'est par un concert de ce trio intense, aux confins du hardcore et de l'expérimental, que le Pez Ner fracasse la porte cadenassée des salles de concert à Lyon. Ou du moins, de Villeurbanne : il faut filer loin de la Presqu'île, cours Tolstoï, pour sentir le frisson vous remonter l'échine. L'aventure débutée ce 31 octobre 1996 ne sera pas très longue, mais va changer la ville : tout l'underground de l'époque passera par là, et une multitude de groupes ou de DJs locaux y feront leurs premières armes.
150 concerts par an, beaucoup de noise, de hardcore et de tout ce que le rock compte de déviant, de novateur, de post ou d'extrême, de musiques improvisées : de Sloy à Hint, de Bästard à Alboth!, et encore Blonde Redhead, Chokebore, Double Nelson, Unsane, Les Thugs, Little Rabbits, Faust, Heliogabale, Lydia Lunch, Dominique Lentin... Expositions, performances (Ron Athey), lectures s'y succèdent, Maurice G. Dantec et Richard Pinhas y jouent le 7 avril 1999. C'était sans relâche ou presque, jamais une faute de goût, juste des trucs qu'on ne comprenait pas toujours. En France, quasiment aucun lieu n'a une telle programmation, une personnalité si marquée.
Les fêtes sont dantesques, la drum&bass trouve un écrin à sa juste mesure, portée par le Natty Bass sound-system et les programmations pointues de Frédéric Sigaud, dit L'Ancien. La techno comme l'électronica (Ronnie & Clyde !) s'y succèdent. D'anciens métalleux se mettent à faire de la house sexy (Cox6), des punks radicalement subversifs explosent les tympans lors d'un show d'anthologie (Atari Teenage Riot), des performers comme Jean-Louis Costes viennent foutre la merde au sens propre et Die Form joue derrière un grillage son électro-goth ultra sexe SM. C'est peu de dire que le Pez Ner dérouille tout ce qui peut coincer un peu les articulations ou les neurones chez ceux qui en franchissent le seuil.
Le lieu est porté par une armée de bénévoles qui ne savent même pas ce que ce mot veut dire tant le Pez Ner est habité, et transporte ceux qui participent à l'aventure, dans le sillage de Marie-Claire Cordat, artiste qui collaborera plus tard avec l'écrivain Jean-Marc Rouillan, l'ancien d'Action Directe. Avant, elle avait déjà lancé une galerie d'art et un espace de rencontres, L'Exit, en collaboration avec Christophe Dodard, par ailleurs ancien disquaire du côté sombre du rock, à Central Service, et organisateur de concerts au Rail Théâtre ou au CCO : il est la seconde âme et le programmateur concert de la salle. On trouve aussi dans la bande Monsieur Mo, alors administrateur. Aujourd'hui, il dirige le label Jarring Effects.
Le Pez Ner rameute vite du monde, près de 10 000 adhésions à l'année : il n'y a pas que les punks qui aiment la bonne musique. Et le décloisonnement des disciplines, ici, n'est pas qu'une ligne gribouillée dans un dossier de subvention et vite oubliée au moment de passer aux actes : c'est une profession de foi. C'est l'apprentissage de la curiosité. Souvent, on finit autour de la grande table dans les loges à vider des cubis de mauvais rouge avec les musiciens. Des fois, on s'endort sur place. D'autres, on se retrouve dans le bus de tournée, se réveillant à L'Usine de Genève.
Pourquoi Villeurbanne ? Lyon ne s'est jamais montrée réceptive, et l'adjoint à la culture d'alors, Jean-Paul Bret, les accueille ravi après qu'un ancien entrepôt soit trouvé et loué en fonds propres, accorde une subvention. La DRAC et la Région participent à l''équipement (sono, etc) avant l'ouverture : 200 000 francs (30 490 euros). Puis 20% des dépenses de fonctionnement seront couvertes par les subventions annuelles de la Mairie et de la DRAC, mais le Pez Ner fonctionnera surtout avec les recettes de sa billetterie.
Les énergies finissent par s'épuiser : tous sont précaires, au RMI souvent, surtout les plus impliqués, trois contrats jeunes sont créés au plus fort de l'aventure mais tout le monde est licencié quand vient le nouveau millénaire, face au dialogue s'étant délité avec les institutions et aux problèmes financiers qui en découlent. La salle ferme même un cours laps de temps avant de s'ouvrir à d'autres programmations, refusant alors toute subvention, tout accord, toute compromission politique. En vain : en juin 2002, c'est le clap de fin. Mais sur ce terreau fertile a poussé toute une scène qui fait aujourd'hui la vigueur de la ville : du Sonic à Grrrnd Zero, nombreux sont ceux qui ont une dette de cœur envers cette salle de 300 agités qu'était le Pez Ner, baptisée ainsi en hommage à Antonin Artaud.