Avec "Le Roi nu", Laurent Pelly propose le spectacle parfait : 2 heures de divertissement et d'intelligence qui ne souffrent aucune faiblesse, portées par un texte et des acteurs éblouissants.Christophe Chabert
On imagine bien Laurent Pelly pleurant de joie en découvrant le texte d'Evguéni Scwartz, Le Roi nu. Ravi de mettre la main sur une pièce qui semble répondre parfaitement à ses aspiration théâtrales, heureux que celle-ci soit encore quasi vierge de toute adaptation. Et pour cause ! Son auteur a vécu la censure soviétique, son conte de fée truculent étant aussi une redoutable satyre d'un régime totalitaire qui pue autant le nazisme que le stalinisme. Mais c'est d'abord la fantaisie qui l'emporte dans ce spectacle jubilatoire, la gravité étant effleurée avec une élégante désinvolture.
Précision et profusion
Même si la scénographie récrée un gigantesque environnement bureaucratique, s'il tombe des cintres une lampe à l'éclairage blafard pour un interrogatoire façon gestapo, c'est bien un conte de fée qui se déroule sous nos yeux. Un gardien de porc tombe amoureux d'une princesse simplette, mais celle-ci doit épouser un despote mégalomane et abruti ; pendant que les noces se préparent, le porcher et son camarade fidèle inventent un stratagème pour ridiculiser cette cour stupide, provoquant au passage une révolte démocratique. Un tel résumé passe sous silence deux éléments essentiels à la vitalité du spectacle : d'abord, la profusion scénique de personnages, de rebondissements, de quiproquos et de gags. Par moments (notamment l'acte 2, hilarant d'un bout à l'autre), Pelly donne au Roi nu un rythme digne des plus grands épisodes du Muppet Show : un bourgmestre ponctuant toutes ses phrases par "oui, oui, non, non", un chambellan en rut aboyant comme un chien de chasse, une gouvernante teutonne raide comme un piquet, un "ministre des tendres sentiments" échappé d'un cabaret ringard... Jusqu'à ce Roi d'opérette qui ricane tel un enfant attardé face aux histoires lamentables de son bouffon. Cette profusion, cependant, n'est jamais chaotique, mais d'une exceptionnelle précision. Metteur en scène souverain, Pelly sait avec une malice démoniaque provoquer les émotions chez le spectateur : quand un tapis rouge se déroule sur scène, il DOIT s'arrêter à un centimètre des pieds de son acteur ; et quand la princesse change brutalement d'intonation pour souligner sa naïveté, le spectateur DOIT à ce moment précis hurler de rire. Malice perverse, même : alors que tout le monde retient son souffle pour "l'apparition" finale, Pelly la repousse arbitrairement par trois fois, histoire de faire durer le plaisir de l'attente ! Loin de brider le jeu des comédiens, cette maniaquerie les libère, les poussant vers les sommets assumés et amusés du burlesque. Tous, de Karim Qayouh à Patrick Zimmerman en passant par Audrey Fleurot et Emmanuel Daumas, sont absolument épatants, et participent à la réussite fracassante d'un spectacle qui oblige à clamer haut et fort : Laurent Pelly est grand !
Le Roi Nu
Au Théâtre de la Croix-Rousse Jusqu'au 18 décembre