Théâtre / Témoigner, alerter, anticipe. Écrire que le monde court à sa perte pour tenter de déjouer sa funeste destinée. Depuis cinquante ans, le dramaturge anglais Edward Bond livre un théâtre coup de poing, pointant les inepties auxquelles conduisent la montée de l'individualisme et le commerce de la peur. Avec «Chaise», il signe une courte pièce de science-fiction qui se déroule en 2077, dans l'un des trente-trois arrondissements de Paris. Alice a recueilli 26 ans plus tôt un bébé, Billy, abandonné dans un carton qu'elle a élevé seule et clandestinement. Devenu adulte, Billy passe ses journées à dessiner, tenu à l'écart d'un monde extérieur hostile. Dehors, les soldats règnent dans des rues désertes. C'est quand Alice tente un geste d'humanité – apporter une chaise au soldat – que son équilibre précaire se brise. Toute tentative de bonté se retourne contre son initiateur. Sur un plateau dépouillé, Philippe Mangenot, longtemps comédien dans les mises en scènes de Gilles Chavassieux, dirige intelligemment ses acteurs. Dans une jupe trop serrée, Caroline Boisson, son Alice, est pétrifiée, retenant des cris qu'elle ne s'autorise pas à pousser. Billy, hybride d'adulte, ne cesse de haleter et ses spasmes traduisent assez pertinemment son incompréhension face au monde. Dans ce tableau noir, Mangenot parvient pourtant à transmettre les bribes d'espoir étouffés de Bond : l'amour maternel comme infime et ultime lien entre les personnages. Nadja Pobel
ChaiseAu Théâtre de l'Iris (Villeurbanne) jusqu'au 10 avril.