Le cadeau d'un patron est-il vraiment un cadeau ? Travailler pour soi est-il vraiment plus épanouissant que travailler pour les autres ? Ces questions sont d'emblée posées dans Ma chambre froide par le boss, Blocq, qui considère ses sociétés comme ses créations. Il fait le ménage dans ses troupes et demande à deux d'entre eux de choisir qui doit garder son poste. «Un travail aujourd'hui, c'est un privilège, et un privilège, faut que ça se mérite ; c'est ça la démocratie». Sans faire de leçon partisane, Pommerat, en auscultant à quel point le travail pousse chacun dans ses derniers retranchements, livre une grande fable sociale acerbe et donc forcément politique, dans son acceptation la plus large. Quand Blocq annonce son décès imminent (une tumeur) et la cession de ses entreprises à ses employés (car il hait sa famille), il bouscule la sacro-sainte répartition simpliste des rôles dans lesquels chacun trouvaient bon an mal an son compte : patron-profiteur et employé-exploité. Il n'y a plus ni supérieur ni hiérarchie et tout se déglingue. La bonhomie d'Estelle, sur qui tout le monde se reposait avant, énerve. Il faut dire qu'elle n'est pas comme les autres. Elle fait des rêves avec une laveuse automatique en main, elle n'a pas peur de la crasse et s'y complaît comme la Cendrillon (dite Cendrier) de la récente adaptation du conte par Pommerat, elle seule comprend et traduit les paroles de son collègue Chi, le chinois que le boss surnomme "Mao Tsé Toung" (!), son mari est retrouvé mort dans la chambre froide... Surtout elle a une idée de dingue : créer une pièce de théâtre pour utiliser au mieux la journée annuelle obligatoire d'hommage à son chef pour le legs qu'il leur a fait. Dans un décor circulaire, les comédiens sont prisonniers de leur histoire, oppressés économiquement. Ils sortent et entrent imperceptiblement durant les fondus au noir pour donner corps à la plus cruelle réalité comme à leurs plus fantasmagoriques visions avant que tout ne soit siphonné dans ce cercle infernal.
Nadja Pobel
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