Acteur tout terrain depuis 18 ans au théâtre, à la télé et même chez Spielberg, Karim Demnatt revient à lui et puise dans son pays d'origine – le Maroc - une histoire intime qu'il présente à l'Espace 44, "Brûler". Portrait de ce touche-à-tout à l'énergie Duracell. Nadja Pobel
Première rencontre. Cette impression qui dessine les contours d'une personnalité : quelle énergie ! Quelle tchatche ! Et irrémédiablement l'envie de savoir qui se cache derrière. Au commencement, en 1974, Karim Demnatt est Karim Qayouh. Il naît en France de parents marocains venus chercher ici de meilleures conditions de vie. Maman est intendante de maison dans une grande famille autour de Roanne, papa travaille dans l'industrie automobile en banlieue parisienne. Rien ne destine Karim à passer sa vie sur les planches. Il est d'ailleurs plus pressé de pratiquer les sports de combat que d'accompagner ses copains au théâtre. C'est pour lui du haut de ses 15 ans, «un truc de tapettes avec souliers vernissés». Mais les préjugés d'ado sont rapidement mis au placard : «Je m'approche du théâtre alors comme un animal craintif, à pas de loup comme s'il y avait un risque» et il découvre «que ça met de la beauté dans la vie, c'est comme un rapport amoureux». En route donc pour l'école de la Comédie de Saint-Etienne où il ne pense pas une seconde avoir réussi le concours d'entrée. Et pourtant si. Mais il reste à s'adapter à des gens pas comme lui, qui ne rêvaient que de ce métier quand il pensait simplement à échapper à des destins moins glamour. Ses camarades «avaient des avis sur le théâtre, une conception. Moi je n'avais qu'un appétit». Le jeu au plateau, en revanche, est une récréation et il travaille comme un fou avec plaisir.
Nordey, Pelly, Spielberg
De plaisir, il ne se départira jamais. C'est son moteur. À la sortie de l'école, les rôles s'enchaînent. Dans sa première pièce de professionnel, il est le Roméo de la version de Jean-Paul Lucet (ancien directeur du théâtre des Célestins). Puis goûte à l'arène extraordinaire qu'est l'amphithéâtre de Fourvière avec Jules César (par Claude Lulé en 2002). Il en parle encore comme d'une «superbe expérience où, grâce à l'acoustique, on peut jouer l'intime sans pousser la voix face à 3500 personnes». Les rencontres se multiplient. Karim Qayouh ne se fige pas dans un lieu mais virevolte au TNB de Rennes, au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis avec Stanislas Nordey (deux spectacles ensemble), croise Jean-Christophe Hembert (qui le met en scène à deux reprises et l'embarque pour un épisode de Kaamelott) et surtout Laurent Pelly. En 2000-2001, Karim joue Oum, hommage à Oum Kalsoum par Lofti Achour. Le spectacle passe par Grenoble où Laurent Pelly, alors directeur du Centre Dramatique National des Alpes, va le voir et l'embarque dans ses aventures. Ils feront Le Voyage de Monsieur Perrichon, Le Roi nu et d'autres dont Sindbad le Marin très récemment. Plus boulimique encore de travail que lui, Karim parle de Pelly avec affection : «il est à la confluence de l'être humain et de la machine, en mouvement perpétuel». Dans ce tourbillon, Karim n'a pas toujours le temps de s'apercevoir de ce qui lui arrive, comme ce rôle dans Munich de Spielberg ! Il passe le casting puis l'a presque oublié quand, deux ans plus tard, son agent l'appelle pour lui dire qu'il est retenu. «J'ai cru à une blague». Et le voilà parti pour trois semaines de présence sur l'île de Malte dont cinq jours de tournage avec Daniel Craig notamment. Émouvante et passionnante expérience au cœur du méticuleux système américain dit-il avec le recul. Et les réactions dans l'entourage ? «Ma mère n'était pas très contente que je joue un méchant. Ce qui compte pour elle, c'est que mon col de chemise soit propre» dit-il en riant !
Retour aux sources
Il y a deux ans, il change de nom, laisse celui de l'état civil pour adopter celui de sa grand-mère, Demnatt. «J'avais besoin de me ré-inventer, de me re-frabriquer». Après avoir joué la carté de l'immersion totale des metteurs en scène avec qui il travaillait et s'être approprié leurs univers, il crée le sien et assume seul Brûler, son premier texte dont il est donc auteur mais aussi acteur et metteur en scène. Avec le soutien sans faille de la municipalité de Roanne, il monte ce spectacle sur la vie chaloupée entre ici (la France) et là-bas (le Maroc), entre le désir de partir et la volonté de se construire sur ses propres terres avec les difficultés afférentes. «Je souhaite parler de la jeunesse actuelle qui n'arrive pas à trouver de perspective d'avenir dans son pays. Le cynisme et la corruption des dirigeants ont, sur le peuple, des effets destructeurs. Les familles se séparent physiquement avec l'immigration clandestine». Ce ne sont pas les puissants qui l'intéressent mais la manière dont les populations se débrouillent plus ou moins avec ces politiques. Un jour, peut-être, ce spectacle passera par le Maroc. «C'est tout à fait possible mais pas encore prévu». En attendant, il a d'autres projets : écrire encore, mettre en scène Les Présidentes de Werner Schwab et rejouer sous la direction de Pelly. Le temps n'attend pas.