On l'avait laissé ce printemps avec un épatant travail avec les élèves du Conservatoire de Lyon ("Massacre à Paris"), revoici Laurent Brethome qui rend aux "Fourberies de Scapin" leur noirceur, nous entraînant dans les bas-fonds portuaires armé d'une solide équipe de comédiens. Nadja Pobel
Mille fois joué, vu, lu, Molière est inaltérable. Sa langue et son sens de l'intrigue subjuguent encore, en particulier dans cette comédie entre fils de bonne famille. Laurent Brethome, qui n'en est pas à sa première adaptation d'un classique (Bérénice, On purge bébé), a su en saisir la noirceur sans pour autant condamner – bien au contraire – la farce. Nous voici donc au cœur des docks (à l'origine, l'action se déroule à Naples), entre des cubes métalliques, un brouillard comme émanant d'une mer proche qu'on imagine sans peine. Un décor aux abords duquel Calais et ses camps de migrants ne dépareilleraient pas. Octave voudrait épouser Hyacinthe, mais est promis par son père à une autre. Léandre, lui aussi est empêché par son paternel de se marier à la soi-disant gitane Zerbinette. Au milieu Scapin œuvre pour la paix des ménages en maniant la batte de baseball.
Surgit de leurs dialogues non pas une pantalonnade, mais bien le côté obscur de ces pères tout puissants, fussent-ils habillés comme les bandits modernes de la finance (Argante) ou, plus négligemment, comme des dandys ratés (Géronte), leur avarice et leurs petits arrangements avec la justice, corruptible, résonnant pertinemment avec l'actualité contemporaine.
Rire noir
Jamais cependant la comédie n'est placée sous l'étouffoir, en témoigne la réceptivité du public du théâtre municipal de Bourg-en-Bresse, où la pièce fut créée la semaine dernière. En sachant doser ressorts comiques – notamment par l'introduction de gimmicks (des mots répétés comme une boucle musicale par exemple) – et réalisme – Scapin mangeant des graines de tournesol en début de pièce ou Léandre en parfait camé – Brethome soulage ses personnages du poids de l'histoire du théâtre. Entre deux actes, il est même impossible de deviner que nous sommes chez Molière : les transitions n'en sont pas vraiment, plutôt de soudains orages (musique live, gyrophares), pleinement interprétés par des comédiens qui savent aussi occuper l'espace quand ils n'ont pas de texte à dire, le peuplant de fantômes.
Seul hic : dans cette pièce très masculine, les femmes ne trouvent jamais pas vraiment leur place et sont de surcroît très mal fagotées. Cette réunion sur scène de l'excellente compagnie du Menteur volontaire de Brethome et de La Meute, collectif dont nous n'avons de cesse vous vanter les mérites ces derniers temps, n'en demeure pas moins riche en étincelles. Et met en orbite, dans le crépusculaire rôle-titre, Jérémy Lopez, pensionnaire de la Comédie française formé, s'il vous plaît, à l'ENSATT et au Conservatoire de Lyon.
Les Fourberies de Scapin
Au Théâtre de la Croix-Rousse, du mardi 7 au samedi 11 octobre
Puis au Théâtre de Villefranche et au Toboggan de Décines