Nuits de Fourvière / En dribblant dans les digressions de Serge Valletti, Éric Elmosnino est à la fois Garrincha et plus encore l'oncle footballeur de l'auteur. Au-delà de ces récits mêlés, il est surtout un acteur immense qui occupe formidablement bien le plateau.
On ne va pas se mentir : un solo a toujours un aspect un peu intimidant pour le spectateur, qui sait que toute l'émotion lui sera transmise par une seule et même personne. C'est assez redoutable, aussi, pour le comédien. Mais, dans cette reprise de rôle (la pièce avait été créée à son initiative en 2001), Éric Elmosnino s'en sort de façon absolument remarquable. Cela tient bien sûr à son talent que l'on ne découvre pas ici et aussi à Patrick Pineau (récemment vu à Fourvière dans le rôle-titre de Cyrano sous la direction de Georges Lavaudant) qui signe une mise en scène tout en décadrages, utilisant le hors-champ à bon escient. Des images sont parfois retransmises en direct quand l'acteur est dans sa cuisine avant qu'il ne revienne sur le plateau, parcelle de terrain entourée de deux bancs aux couleurs limpides évoquant le Brésil sans porter le pays en étendard non plus.
Manoel dos Santos dit Garrincha, ailier droit de la seleção, double champion du monde en 1958 et 1962, réputé pour toujours dribbler en passant à droite et icône aussi célèbre que Pelé dans son pays, est sauvé par Monsieur Armand. Ce jeune footballeur de l'OM, véridiquement le premier qui en junior marqua un but dans le stade Vélodrome flambant neuf en 1938, empêche, dans cette fiction signée Valletti, son idole Garrincha d'être atomisée comme l'araignée du Prado (un gardien de but) ; et lui-même, par un concours de circonstances, échappe à sa mort promise en tribunes JK des 24 h du Mans !
Atout lob
Si ce résumé paraît apocalyptique, c'est que Serge Valletti ose produire une écriture toute en circonvolutions, souvent très drôle et toujours teintée de cet amour pour le ballon rond dont Garrincha ne s'est jamais départi, même à l'article de la mort, à 49 ans, rongé par ses excès en tous genres. Sur scène, Elmosnino ne chausse donc pas les crampons mais, en buvant du Fanta dans une bouteille vintage, il égrène les souvenirs fantasmés de ces gosses — car le foot a, dans cette pièce comme ailleurs, à voir avec l'enfance — dans un mélange de nonchalance et de précision confinant au one man show dans ce qu'il a de plus noble : la capacité à occuper l'espace.
Tour à tour blasé, surpris, silencieux, pressé, en prenant son auditoire à partie ou, au contraire, en marmonnant comme seul au monde, le comédien signe 1h20 de très haut vol, dessinant une géographie du beau jeu sans tomber dans un mimétisme absurde. Il trouve la bonne distance pour rendre un hommage tout sauf solennel, à l'existence de ces deux hommes dont la vie a été irriguée par le foot.
Monsieur Armand dit Garrincha
Au collège Jean Moulin jusqu'au jeudi 30 juin, dans le cadre des Nuits de Fourvière