Louise Vignaud, résolument curieuse

Louise Vignaud, résolument curieuse
Tailleur pour dames

Célestins, théâtre de Lyon

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Elle vient d'être nommée à la tête des Clochards Célestes. Sa mise en scène ultra rythmée du Tailleur pour dames de Feydeau fait salle comble dans la Célestine. Louise Vignaud aime rien tant que raconter des histoires : voici la sienne.

Au lendemain de sa première aux Célestins, on croit Louise Vignaud soulagée. Erreur. « Non, ce n'est que le début » dit-elle sans se départir de ce sourire qu'elle a continuellement vissé aux lèvres. « Il y a encore tellement de choses à faire ! » Son Tailleur pour dames était pourtant parfaitement au point dès de sa première représentation, en ce jeudi 18 janvier. La réponse de la jeune femme de 28 ans dit l'exigence qu'elle a chevillé au corps, traduit un parcours sans faute dans ce milieu du théâtre qui la berce depuis son enfance.

Flash-back. Elle est née à Paris de parents architectes. C'est sa grand-mère, prof' de lettres à la retraite, qui l'emmène avec ses cousins le mercredi et le dimanche, voir les Molière, Racine ou les Fables de La Fontaine à la Comédie française. Mais le choc, c'est sa mère qui lui fait ressentir en lui faisant découvrir la Phèdre de Chéreau, aux Ateliers-Berthier. C'était en 2003.

Très tôt donc, le théâtre infuse dans son existence ; lors des rassemblements de famille, les enfants pour s'occuper sont incités à monter une pièce. Elle a 4 ans, et dirige la smala dans une adaptation d'une pièce sur Christophe Collomb ! D'autres suivront.

Les images joyeuses d'Un conte de Noël de Desplechin ne sont pas loin pour tenter d'imaginer ces instants d'enfance. « Ce fut un terreau fondateur » admet-elle simplement, et cela l'oriente vers des études rigoureuses afin d'intégrer le lycée Louis Le Grand « celui où Chéreau et Jean-Pierre Vincent ont été élèves. »

Cravacher pour obtenir le haut niveau scolaire requis, y rester cinq ans, le temps d'enquiller hypokhâgne et khâgne dans la foulée d'un bac L, avant de filer à Normale Sup' Ulm. Soif infinie d'apprendre.

« À Louis Le Grand, j'ai fédéré immédiatement une troupe, et nous avons monté chaque année une pièce, dont un Lorenzaccio avec 21 personnes au plateau ! Nous étions libres, nous avions des salles à disposition pour travailler et un amphi de 350 places. »

Louise rencontre déjà "son" public, mais ce dont elle se souvient avec le plus de fierté et de plaisir est cette réunion qu'elle organise alors entre ses illustres prédécesseurs, Vincent et Chéreau.

« Il n'y avait pas de mondanités, ça les a désarçonné et à la fois complètement ému ». D'eux, elle admire « leur exigence des textes, leur compréhension pour être l'interprète d'un auteur ; ne rien lâcher, toujours continuer et se remettre en question. On n' est jamais sûr de rien, au théâtre. »

Pendant Normale Sup', elle valide un master de lettres au cours duquel elle se penche, pour son mémoire, sur les mises en scène de Roger Planchon et sa lecture des classiques à travers Brecht.

Elle apprend des aînés, s'attache à la pratique des comédiens en tâtant sérieusement des planches, via l'école de Thibault de Montalembert : « je ne voulais pas spécialement faire ce métier, mais ça m'a aidé à me sentir plus légitime comme metteur en scène, à connaître les techniques d'acteurs, à savoir ce que c'est que d'être dirigé. Et il fallait l'avoir fait pour le concours de l'ENSATT », qu'elle réussit en 2011, département mise en scène, évidemment.

Sans fil à la patte

Dans l'école nationale juchée au-dessus de Saint-Just, elle fait notamment la connaissance de Christian Schiaretti, directeur de cette section qui « nous met devant les écueils, oblige à réfléchir et nous plonge dans le TNP qu'il dirige. »

C'est ainsi qu'elle devient assistante, avec Baptiste Guitton, sur Mai, juin, juillet dans lequel elle joue aussi. La suite est une histoire d'heureux méandres et croisements, puisque sur cette création de 2014, elle fait répéter ses italiennes à Éric Ruf (il joue Vilar dans la première version), depuis devenu administrateur général de la Comédie Française : il l'invite au Studio en septembre prochain pour créer Phèdre de Sénèque !

Jean-Pierre Vincent, son "père" de théâtre, a en charge la création de sortie de l'ENSATT de sa promo, le War and breakfast de Ravenhill. Il sera parmi ses premiers spectateurs lorsqu'elle monte en sortie d'école, avec sa compagnie La Résolue encore balbutiante, le Calderon de Pasolini qu'elle espère bien reprendre prochainement.

« J'ai beaucoup de papas dans ce métier, dit-elle, mais aussi quelques mamans comme Claudia Stavisky qui m'a fait confiance tout de suite. »

Louise Vignaud assiste la co-directrice des Célestins sur En roue libre puis Tableau d'une exécution. Dans ce travail précis, « il faut savoir être à sa place, explique-t-elle, afin que le metteur en scène puisse aller au bout de ce qu'il souhaite faire. » Cette humilité l'amène aux côtés de Michel Raskine et Richard Brunel, qu'elle remplace lors de la tournée de Roberto Zucco l'an dernier.

Occupe-toi des récits

Classique ? Contemporain ? Louise refuse de choisir, espérant « être identifiable par le plateau. » Pasolini donc, mais aussi Koltès, l'auteure québecoise pour jeune public Suzanne Lebeau (le déchirant Le Bruit des os qui craquent), Joséphine Chaffin (Ton tendre silence me violente plus que tout) maintenant Feydeau... Et grâce au projet de Maxime Mansion (Monsieur Bassinet dans Tailleur pour dames), elle soutient l'émergence via En acte(s), bientôt au théâtre de l'Élysée avant de figurer l'an prochain au TNP.

Certains de ses travaux précédents seront repris au théâtre des Clochards Célestes, dont elle est depuis peu la directrice : Élisabeth Saint-Blancat lui passant en douceur le flambeau d'ici l'été.

Si elle ne pensait pas si jeune avoir les clés d'un lieu, cela correspond à un désir qui n'est pas neuf : « ce qui importe est de transmettre. »

Diriger une salle ou une équipe au plateau se fait « dans un même mouvement : faire du théâtre pour les autres. Le théâtre n'existe pas sans public et sans les histoires qu'on lui raconte »

dit-elle encore, se remémorant spontanément Jean-Pierre Vincent citant Brecht :

« le théâtre a commencé par un homme qui est monté sur une pierre pour parler à d'autres hommes et leur raconter les choses. »

Et de conclure : « Si on oublie ça, on oublie tout. »

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