Essai / Puisque dans le terme "théâtre politique", "politique" ne sert plus qu'à faire joli, l'universitaire Olivier Neveux redonne du sens aux mots. Dans son ouvrage «Contre le théâtre politique» paru mi-avril, il dresse un diagnostic de l'état de la création actuelle, réhabilite la notion "d'alternative" loin du macronisme qu'il fustige et fait place au spectateur.
Où encore lit-on ces vérités sans que ce ne soit un bon mot ou une manière d'accrocher la lumière ? « Pour le spectacle vivant, elle [la présidence de François Hollande] fut juste nulle. "Nulle" signifiant inexistante ». « Telle serait la conclusion de ce mandat. Ils n'avaient pas d'idées ». Emmanuel Macron « a, triste mécanique, la sensibilité artistique de son milieu », soit celle de son simili ministre de la Culture Jean-Marc Dumontet, dont le festival Paroles Citoyennes est dynamité en ouverture d'ouvrage. Jamais pourtant Olivier Neveux ne se contente de distribuer des coups. Ce serait si vain. Bien au contraire, il n'a de cesse de tisser, lesté de ses très nombreuses lectures, pièces vues et heures d'enseignement, un lien entre ce qui peut se voir sur scène et la façon dont les tutelles le permettent ou l'empêchent.
Que voit-on sous le vernis idéologique ? Qu'il faut défendre une « Cause » (de facto inattaquable), que les récits de vie sont encore le plus court chemin pour y parvenir. Jamais didactique (interrogeant même le sens de ce mot employé à tout-va, CQFD), il témoigne d'abord d'une expérience de spectateur acharné analysant sans ciller Pommerat comme les Chiens de Navarre ou les très essentiels Milo Rau et Maguy Marin.
La Reprise
Derrière le vocable de théâtre politique, le terme d'œuvre est suspect. Accompagné de Rancière, Annie Lebrun, l'auteur le réhabilite avec la notion de subjectivité, souvent égratignée. Car, si elle est savamment élaborée, sa réflexion est destinée à tous, surtout parce que « le théâtre reste très largement fermé à un public populaire » et qu'il « serait scandaleux de s'y résigner » quand bien même les chargé-e-s de relations avec les publics font un travail colossal, comme il le souligne. En étudiant la confiscation des politiques culturelles puis la thématisation des spectacles avant de voir en quoi certains font encore théâtre, l'universitaire traque avec une rigueur totale « le triomphe de l'allégeance » pour réhabiliter les « Petits ». Ne pas expier l'art mais continuer à l'inventer sans buter sur la réalité « maître mot du théâtre politique » qui asphyxie toute alternative de pensée : « Il faut parfaire le dessin [de la réalité] plutôt que de l'excéder » écrit-il amer en déjouant les caricatures (théâtre à l'italienne versus théâtre de rue...).
Dans cette époque sage en surface mais féroce dans ses sous-couches, peut-être que le théâtre ne nous parle pas suffisamment comme à des « fous » estime Olivier Neveux dont l'intransigeance – le livre s'achève sur le mot non - est une politesse à l'égard de l'art théâtral et de cette époque malade. Pour que le théâtre de demain ne soit pas « récréatif, compétitif et positif », telle l'ère macronnienne. Pour qu'il soit à la fois un terrain de la pensée en n'omettant pas de rester cette expérience égalitaire par « la capacité de l'œuvre à bouleverser une personne ».
Olivier Neveux, Contre le théâtre politique (La Fabrique)
À Terre des Livres le jeudi 25 avril à 19h