Chanson / Sublimement patinées par le temps, les chansons que Dick Annegarn écrit aujourd'hui n'ont rien à envier à celles qu'il composait hier. Un tour de force, tout en douceur, à admirer sur scène. Emmanuel Alarco
Quand il s'agit de faire l'article d'un valeureux quinqua, le modeste scribouillard se voit souvent dans l'obligation d'entamer un petit voyage dans le temps, afin d'éclairer les gentils efforts du moment à l'aune des exploits de jadis. Grand seigneur, Dick Annegarn, nous épargne cette gymnastique bienveillante et nous permet de renouer avec notre veine la plus dithyrambique. À 53 ans, le plus belge des Hollandais francophones a signé l'année dernière un album touché par la grâce, qui confirme que son art boisé battu par les vents supporte mieux qu'aucun autre le poids des ans. Tout au long de Plouc (ce titre !), le Batave promène sa voix toujours aussi inimitable de Bébé éléphant égaré entre opulence du verbe et musicalité extrême. La musicalité, cette vertu supérieure faisant si souvent défaut aux chanteurs d'ici, fréquemment pris en flagrant-délit de textes rentrés au chausse-pied dans leurs mélodies ou de rapport conflictuel à leur instrument. Gentleman farmer Annegarn - rappelons que s'il est arrivé en Belgique à l'âge de 6 ans, il est tout de même né aux Pays-Bas ! - fait subir à la langue française un traitement de choix que peu d'autochtones ont osé. Bashung et ses hommes de main, peut-être ; Boby Lapointe, pour les saillies les plus humoristiques ; d'autres que l'on n'a sans doute pas la chance de connaître... Quoi qu'il en soit, sa plume trace des arabesques à la puissance poétique telle, qu'il paraît impensable d'en extraire ne serait ce qu'une ligne pour en apporter la foi. Et sur le fond, l'homme touche tout aussi juste, peignant avec le même brio les tourments et les joies intimes que les claudications du monde avec un grand M, de la débâcle de Jean-Marie Messier (J2M) à la guerre en Irak (le rire jaune de 3 petits cochons). Guitariste raffiné, il a choisi pour ce disque de ne s'entourer quasi exclusivement que de deux musiciens, Barnabé Wiorowski et Jean-Pierre Soules qui, grâce à leurs superbes volutes de cor et de tuba, emmènent tout ce beau monde bien loin du tout venant de la chanson française, vers des terres aventureuses que ne renieraient pas Björk (quand elle se pique d'acoustique) ou Jim O'Rourke. Une liberté et une sensualité enivrante qui nous rappellent en quoi le libre et sensuel Mathieu Boogaerts est bel et bien son héritier le plus direct. Ce qui nous amène tout naturellement à dire quelques mots du Grand dîner, disque hommage de fort bonne tenue où quelques bons "jeunes" (Boogaerts, Arthur H, M, Bertrand Belin, JP Nataf...) et autres illustres "anciens" (Bashung, Arno, Christophe...) reprennent avec un certain panache quelques perles du maître. Parfois, à la fin d'un papier, pris par le manque de place, le modeste scribouillard a simplement envie de dire "Merci".Dick Annegarn + LaloLe 21 novembre à 20h30, à l'Heure Bleue, dans le cadre du Mois de la Chanson