Depuis son arrivée dans la capitale, la crème des musiciens français se dispute ses faveurs, le public se bouscule aux premiers rangs de ses récitals piano, et ses fans de la première heure guettent la moindre de ses réalisations. Entretien avec le génial Gonzales, à l'occasion de la sortie de son premier DVD. Propos recueillis par François Cau
En regardant From major to minor, on sent cette envie de filer le virus du piano à ton public...Gonzales : L'idée est née pendant la tournée, où les concerts se finissent généralement par un cours avec un(e) volontaire. J'ai rencontré beaucoup de gens au fil des shows, et je constatais à chaque fois la soif pour quelque chose de plus, le soulagement d'appréhender le piano comme quelque chose de ludique. Je n'ai pas la prétention de dire que j'ai inspiré les gens musicalement, mais l'attitude que j'adoptais, le fait de montrer qu'on peut s'amuser très vite sur l'instrument, c'est aussi ce qui a motivé la réalisation du DVD. Tout l'aspect pédagogique repose là-dessus, ouvrir de nouveau horizons, permettre de se lâcher, réduire la gamme du blues à une poignée de notes pour réduire les contraintes. Comment s'est décidé le contenu du DVD ? On a tout fait ensemble avec Ninja Pleasure, qui a fait tout ce qui est visuel pour moi depuis le début. On avait une grande quantité de matériel archivé, beaucoup de prises de vues de concerts, des films qu'on a fait ensemble, des photos... Que des choses qu'on aimait beaucoup tous les deux, ça a été dur de faire des choix, mais la contrainte de temps nous a forcé la main.On y trouve de nombreuses traces de ta période hip hopisante chez Kitty Yo...Pas mal de gens, y compris les amis que j'ai depuis que je suis installé à Paris, m'ont découvert tout récemment. Ils avaient entendu parler de cette époque, sans vraiment savoir de quoi il retournait. Je suis très fier de ce que j'ai fait en ce temps-là, je voulais en montrer le maximum d'autant qu'il n'en existait pas réellement de documents visuels.On peut notamment voir ta fameuse conférence de presse où tu t'autoproclamais président de l'underground. As-tu gardé cette fonction, ne serait-ce qu'à titre honorifique ?Non, pas du tout. Le but était de mettre un coup de pied dans le cul de l'underground berlinois d'alors, mais je me suis surtout rendu compte que le milieu prenait très au sérieux l'idée de ne pas avoir de leader, de ne pas vouloir s'organiser, d'exister hors de toute structure “normale“. Je trouvais ça marrant en y regardant de plus près, je considérais ça comme un système politique, à l'image de ceux que les artistes underground dénoncent et dont ils veulent rester à l'écart. Et aujourd'hui encore, je retrouve ces mêmes schémas qui régissaient l'underground dans de grosses industries qui assument leurs ambitions. Je voulais juste fédérer, que les artistes s'organisent et consentent à leur lisibilité, qu'il n'y ait plus cette attitude de faire semblant de ne pas vouloir du succès. J'ai vite vu que c'était incompatible et j'ai lâché l'affaire. À Berlin, tu ne peux pas toucher les autres mondes et c'est voulu. En France, le mainstream finit par tout bouffer, moi y compris. En Allemagne, au Canada ou en Angleterre, il est impensable que je puisse bosser sur les albums de gens comme Adamo ou Jane Birkin. C'est ça qui m'a fait déménager à Paris, cette fusion possible de l'underground et de l'overground.Tu t'es également penché sur le cas de Philippe Katerine...Là c'est encore autre chose. Dans le cas de Katerine, tu as un artiste qui trimballe son univers avec lui, c'est la vision la plus proche que j'ai d'un artiste classique français. Je le vois comme Boris Vian ou Gainsbourg, comme LE trublion de notre époque, quelqu'un qu'on trouve trop excentrique ou idiosyncratique pour avoir le succès qu'il mérite, mais l'idéalisme artistique à la française me donne espoir, je vois comment ça peut porter ses fruits.Tu collabores en ce moment avec Teki Latex sur son album solo...On est en train de faire un album très différent de son travail pour TTC, très chanté, très pop et très positif, qui contient vraiment tout son charisme et son charisme est très, très large. On a encore quelqu'un qui était dans l'underground et qui aspire à d'autres univers, ce qui serait impossible à Berlin.Sais-tu quelle facette de ta personnalité se dévoilera sur un potentiel prochain album ?Je n'ai pas de réponse à cette question pour l'instant. Certaines journées, je me motive et me je me dis que je vais refaire du rap. Je m'habille en conséquence, j'écoute du hip hop, je traîne avec des jeunes qui écoutent ce son. Je finis par me demander si la perspective de vivre comme ça pendant les mois qui viennent serait envisageable, et finalement la réponse est invariablement non, ce serait même horrible... Mais un jour je ferai suffisamment bien semblant pour me convaincre.GonzalesDVD : “From major to minor“ (No Format / Universal Jazz)