Théâtre / Troisième volet d'un quatuor consacré aux questions de l'héritage et de la transmission, “Forêts“ prend tous les risques inhérents aux blockbusters théâtraux et s'en sort miraculeusement, porté par une foi absolue en son propos. François Cau
La première scène pose étrangement les prémices narratives. Passées les surprises du 99 Luftballons de Nena balancé plein pot et de l'accent chantant de Montréal, la mécanique s'installe. Interruptions de l'intrigue via le regard d'un observateur extérieur, prose gouailleuse, répétitions signifiantes, intrusions de visions “incohérentes“, ruptures dramatiques incessantes... Le premier acte de Forêts vous entraîne de gré et de force dans une véritable saga intergénérationnelle, aux effets de manche grandiloquents, aux coïncidences bigger than life, dispensées par un casting visiblement investi dans cette histoire aux enjeux énormes.
Soit Lou, ado chipie goth rebelle de 16 ans, forcée par un paléontologue passionné de se pencher sur son arbre généalogique et son patrimoine génétique, le tout afin d'élucider le mystère posé par un crâne retrouvé dans le charnier d'un camps de concentration. C'est sûr, dit comme ça, on se prendrait l'envie d'inciter son sourcil au léger haussement réprobateur. Dont acte : Wajdi Mouawad nous fait vite avaler de grosses couleuvres scénaristiques (la construction, par ellipses abruptes et fondus enchaînés, enjoint à adopter le lexique cinématographique), construit son récit comme un puzzle inextricable, capture le spectateur dans d'élégants dispositifs scéniques dès que son attention commence à se relâcher.
Un obus dans le crâne
Car Forêts est une création folle, démesurée, d'une ambition doucettement canalisée, demandant de la part du public une adhésion pleine et totale. Non pas qu'il faille un courage insensé pour suivre ces quatre heures de rebondissements quasi feuilletonnesques, loin s'en faut, en dépit de quelques inévitables baisses de régime. L'implication de l'ensemble de la troupe dans le projet (les comédiens ont participé implicitement à l'écriture) élève son chaos interne, fait évoluer le récit sur la corde raide d'un film d'auteur fourmillant de petites touches empruntées au cinéma de genre (on vous laisse la surprise).
Test qui ne trompe pas, le premier entracte vous laisse, au sortir de deux heures, avec l'impression contrastée de s'être fait embringuer dans un thriller intime fouillis, aux ficelles pas vraiment déplaisantes, n'ayant pas livré toutes ses clés. Et lorsque le spectacle reprend, Wajdi Mouawad nous prend à rebrousse-poil et livre le flash-back originel, détournant provisoirement l'intérêt en le transcendant. Habileté d'un dramaturge assimilant les gimmicks narratifs populaires de son temps, se les réappropriant avec une candeur prête à renverser des montagnes, juste pour servir sa cause. Mission globalement réussie : à quelques nuances près, les douleurs générationnelles se font écho et résonnent dans le cortex embrumé du spectateur KO.
Forêts jusqu'au 17 mars à 20h30, à l'Hexagone