L'ombre errante
On l'avait annoncé au moment de son dernier concert au Festival Magic Bus. Le groupe Jull a préféré cesser toute activité, tirant sa révérence à un milieu qui n'arrivait pas à le faire rentrer dans une case préformatée. “De la Neige et des Océans”, le dernier album de la formation enfin disponible, est le meilleur témoignage d'un parcours superbement à part.Propos recueillis par FC
On vous sent venir. Le groupe s'arrête mais sort un album ? What the fuck ? Rangeons les points d'interrogation, si vous le voulez bien. Cette initiative n'est ni un retour déguisé, ni un majeur levé à la face de l'industrie du disque, pour lui glisser sournoisement “Si ça te plaît et bien tant pis, souffre et regarde tes enfants agoniser dans les larmes et le sang”. Cet album existe sous sa forme plus ou moins définitive depuis quelques mois déjà, fruit du labeur mélodique de Guillaume et Éric Beauron, Olivier Depardon, Jean-Marc Junca, Guilhem Granier, Xavier Huard et du chanteur et parolier Julien Brotel.
Ces quelques pistes sont le meilleur reflet de l'évolution musicale du groupe, la somme de toutes ses individualités au service d'un trip poétique de haute volée. De la neige et des océans est le meilleur souvenir que le groupe Jull peut laisser en legs à la scène locale meurtrie par son départ. Si vous trouvez que j'en fais trop, que c'est un coup de pouce odieux et complaisant à celui qui est devenu un camarade, je vous enjoindrais à écouter l'album, et à me donner tort ensuite. En attendant que vous vous exécutiez, voici quelques réponses de l'artiste anciennement connu sous le nom de Jull.
Comment s'est déroulé ta collaboration avec l'auteur Alexandre Lacroix ?
Jull : Ça s'est fait presque par hasard avec ce garçon... De ce qu'on a fait quand on s'est posés ensemble, il ne reste plus grand chose, mais pour le disque, il m'a donné des choses qu'il avait fait lui et qui allait dans la direction que le disque prenait. C'était aussi une question de sensibilité sur le moment, c'était des textes qu'il était facile de m'approprier.
Il y a une ligne directrice dans les textes ?
Le postulat pour démarrer était de trouver un lien avec les éléments, la terre, le feu, ou l'éther pour le 5e élément... C'était une chose dont j'avais envie de parler à ce moment-là, dont mes camarades avaient envie également. En rassemblant tous les éléments, toute la matière sonore, ça paraissait cohérent d'axer le travail là-dessus. De revenir par rapport à ce qu'on avait fait avant à des choses plus élémentaires, dans un sens plus large. Il y avait cette envie de faire un disque de poésie entre guillemets, avec une certaine universalité (j'aime pas ce mot, ça me fait penser à Universal, mais bon).
J'ai l'impression que ton premier album La Bataille du Ventre était l'élaboration d'une vision, et que De la Neige et des Océans est celle d'un univers...
Il y a un peu de ça... La Bataille du Ventre traitait de thèmes beaucoup plus personnelles, et on a voulu ici utiliser le même langage mais pour parler de choses qui nous concernent. Les conceptions dans les deux albums sont les mêmes mais ont évolué, on partageait tous les mêmes envies, on ne s'est pas assis non plus autour d'une table en ayant une idée très définie, il y a plutôt eu une espèce d'inadvertance intéressante qui a donné ce résultat.
C'est le fruit de l'alchimie entre tous les membres du groupe, des influences de leurs projets parallèles, dans ce qui est la formation définitive du groupe...
T'as répondu à ma place, là...On était effectivement dans cette forme approchant de la fin du projet. Et puis le fait que chacun vienne ou ait d'autres projets, ça me paraît être un des intérêts de ce type de travail. Je respecte ceux qui ont un côté ermite, mais je me reconnais plus dans des écrits de Camus ou de Quignard, quand ils disent que l'art pour l'art c'est bien gentil mais qu'il faut nécessairement une espèce d'élévation, confronter des points de vue, des envies et des hasards avec d'autres gens, et rendre finalement sa démarche accessible au plus grand nombre... C'est pour ça aussi que c'était important de sortir ce disque, permettre aux gens d'y avoir accès, de partager les différents points de vue abordés en y prenant du plaisir, un peu sous le manteau.
Et vous vous sentez prêts à enquiller d'éventuelles sollicitations ?
À mon avis il n'y en aura pas... Je suis un peu pessimiste là-dessus, pour nous et pour plein d'autres gens, il y a un brouhaha, une surabondance dans ce domaine et dans d'autres qui doivent absolument être rentables. La ligne directrice sur ce disque rejoint un peu l'envie de revenir à des choses élémentaires...
Jull
Album : "De la neige et des océans" (L'Amicale Underground)