MUSIQUE / Pianiste invité par les plus grands chefs d'orchestre, concertiste de festivals prestigieux, interprète subtil de Schubert ou Janacek, dernièrement couronné par le public et la critique pour ses enregistrements, chambriste passionné, Alain Planès est surtout un artiste atypique. Séverine Delrieu
Aucun plan de carrière, ni fantasmes de gloire ne l'animent. Son chemin d'artiste est dominé par un élan de liberté, par un désir d'exigence, une curiosité du monde. Son érudition, sa passion pour la peinture l'emportent vers des expériences musicales comme celle d'une intégrale Debussy. Alain Planès a joué l'intégrale des pièces pour piano de Debussy au Festival d'Aix-en-Provence 2005, comme une sorte de marathon effréné en quatre soirées quasi successives. À l'Auditorium de la Maison de la Culture de Grenoble, il réitère l'expérience avec deux concerts en octobre et deux autres en novembre. Pour ceux qui pourront écouter les quatre programmes, l' oeuvre complète du compositeur y sera jouée chronologiquement. De la Danse bohémienne écrite eu 1880, à la pièce Les Soirs illuminés par l'ardeur du Charbon achevée en 1915, Alain Planès a choisi de tout jouer. Tout. Même les pièces reniées par Debussy lui-même. «Parlant d'une de ses pièces Debussy assénait à un élève, “non, ne jouez pas cette pièce, c'est une cochonnerie !”». Alain Planès met le ton pour raconter cette anecdote révélant la proximité avec le compositeur dont il a déjà enregistré les Livres I et II, salués par la critique, et Arabesques et Cahier d'images qui sortiront prochainement chez Harmunia Mundi. Néanmois, Alain Planès a peur de «manquer d'oxygène» dans cette immersion “debussyesque” live. «C'est une épreuve terrible». Les pièces vont d'une difficulté moyenne, «les premières pièces sont charmantes et agréables», aux Etudes, «des œuvres poétiques, humaines», à l'écriture avant-gardiste. «L'angoisse me tient du début jusqu'à la fin de cette intégrale. Je la joue comme la rétrospective d'un grand peintre». On ne peut ôter une toile, fut-elle de qualité moyenne. Debussy, le musicien-peintre ? Le rapprochement est une évidence pour Alain Planès. Odilon Redon (1840-1916, peinetre rattaché au mouvement symboliste) s'immisce dans les premières pièces, et l'abstraction à partir des Etudes de 1915. «Debussy a été étiqueté impressionniste, alors que ça lui déplaisait. Même si sa musique est très imagée, je crois que c'est le flou impressionniste qui le perturbait. Sa musique est claire». La modernité des sonorités, l'innovante exploitation du spectre pianistique des Etudes annoncent Stokenhausen, Messiaen ou Boulez. Alain Planès aime chez Debussy la sensualité, la musique élégante, les accords majestueux mais aussi le compositeur visionnaire, révélant la musique de notre temps.ContemporainAlain Planès, né dans les années cinquante, est un prodige musical. Entré à douze ans au Conservatoire de Lyon puis à Paris, il se perfectionne à Bloomington (USA) auprès de Gyorgy Sebok. Grâce à Janos Starker, il revient en Europe. En 1976 Pierre Boulez crée l'Ensemble Intercontemporain et engage Alain Planès comme soliste. Il y restera jusqu'en 1981. A cette période il joue assidûment Bério, Ligeti, Boulez. Son jeu très pointu et éclectique lui ouvre les portes des grands festivals (Aix, Roque d'Anthéron, Montreux) et des grandes scènes internationales. «Aujourd'hui je ne peux plus jouer cette musique, elle est trop physique pour moi». Pourtant, à travers ses collaborations récentes avec le théâtre musical, la musique contemporaine l'entoure toujours. En 2001, Alain Planès collabore avec Claude Régy sur Le Carnet d'un disparu de Janacek. Ce sublime spectacle hypnotisant, mélange la lenteur de jeu à la Régy, les lumières de Dominique Bruguière et le touché sensible d'Alain Planès. Il y assure également la direction musicale comme sur Frontière, opéra de chambre composé par Philippe Manoury et mis en scène par Yoshi Oïda en 2003. Alain Planès s'intéresse aux expériences transversales et élabore de nouveaux projets. «Brigitte Jacques m'a donné à lire une nouvelle de Möricke, le Voyage de Mozart à Prague. Un projet musical naîtra peut-être». Nouveauté, réflexion sur les arts, la poésie, la musique, le stimulent. Au cours de son existence “de recherche”, il aura côtoyé quelques esprits : Deleuze, Malraux, Mirò et plus tard Rudolf Serkin, qu'il admire depuis l'âge de treize ans. TransmissionC'est par un altiste italien, qu'Alain Planès rencontre Serkin. «Il m'a invité deux années consécutives au Marlboro Festival. J'étais un jeune sénior. Je n'ai jamais auditionné pour Rudolf. Il ne m'a entendu jouer que la deuxième année au Festival. J'avais une peur terrible. Après le concert il m'a dit : “Alain, ta place est ici. Sans prétention, je peux dire que Serkin et sa femme m'ont adopté. Rudolf Serkin me manque beaucoup». Au printemps dernier, la MC2 accueillait Alain Planès et d'autres élèves du Marlboro Festival pour un concert. Ce que lui a transmis Serkin et les autres, Alain Planès a besoin de le donner. Même s'il dit «avoir plus appris devant une toile de Mirò qu'au Conservatoire», et trouve «l'enseignement français sclérosé», il enseigne le piano. «Quand mes élèves arrivent dans mes cours, je leur fais un lavage de cerveau et je leur dit “apprenez avec réserves”», en citant Michaux. Transmettre est un acte généreux, «une fausse paternité», nécessaire à l'émancipation chère à Alain Planès.Alain PlanèsIntégrale Debussy les 13 et 14 octobre (et les 5 et 6 novembre), à l'Auditorium de la MC2