Avec le livre Fight Club, Chuck Palahniuk a exorcisé tous les maux d'une génération X abandonnée par ses pères fondateurs, chacun de ses nouveaux livres se recevant désormais comme une saine onction sensoriellement trash. Entretien avec l'auteur, à l'occasion des sorties françaises de Journal Intime et du Festival de la Couille.Propos recueillis par François Cau
Quelle est votre implication exacte dans la "Cacophony Society" (organisation artistique et activiste ayant inspiré le "Projet Chaos" de Fight Club) ?Chuck Palahniuk : Personne n'a d'implication exacte dans la Cacophony Society. J'en suis membre, donc j'assiste occasionnellement à des réunions, où le groupe prépare des canulars et des performances extravagantes en public. Je participe à des évènements, et j'aide à leur mise en place. Il peut s'agir de soirées à thèmes étranges, comme "Le premier repas de quartier radioactif après une guerre nucléaire", ou encore l'installation de fausses galeries d'art qui ne montrent que les pires formes d'expression artistique que vous pouvez imaginer. En fait, chaque évènement est juste une excuse pour les membres, afin d'apprécier la compagnie d'autres personnes faisant les imbéciles.Dans Le Festival de la Couille, vous évoquez l'impact que Fight Club, le livre et le film, a eu sur certaines personnes. Comment expliquez-vous à présent cette émulation ?L'histoire de Fight Club a juste montré une façon différente pour les gens d'être ensemble. Les jeunes recherchent toujours des formes nouvelles, expérimentales de société. Jusqu'à ce qu'ils aient leur propre famille, les jeunes ont besoin de schémas pour être ensemble et partager leurs histoires. Fight Club était juste un moyen très créatif pour que les gens s'expriment. Pensez-vous que votre style très cinématographique contribue au succès de vos livres ?Je pense que c'est moins le style que la concentration sur les sensations physiques. Les gens me disent que mes histoires ont plus d'odeurs et de goûts que chez les autres écrivains. Mon but est d'élever le lecteur à tous les niveaux, spécialement le physique. Beaucoup de livres utilisent des pistes intellectuelles ou émotionnelles, mais très peu fournissent des éléments physiques qui permettent aux lecteurs de se sentir à l'intérieur de l'histoire. Mes personnages pensent rarement, mais ils ressentent la douleur, ils sentent la nourriture, ils ont le goût du sang. On a l'impression que dans Journal Intime, vous abandonnez momentanément le minimalisme stricto sensu...À la surface, oui, Journal Intime s'inscrit moins dans une logique minimaliste. Mais c'est un masque. L'emploi d'une voix à la fausse troisième personne est en fait très minimaliste. J'expérimente, mais je n'enfreint jamais les règles de ce style. On a juste l'impression que j'ai triché. Croisez les doigts pour que le film soit tourné dans l'année...Fight Club avait été désigné comme du "macho porn" par certains critiques. Et pourtant, vous créez des personnages féminins très convaincants.Le genre de mes personnages importe peu. J'essaie d'écrire sur le comportement humain à un niveau très basique, si bien qu'ils peuvent être hommes ou femmes. C'est presque comme si je tirais à pile ou face pour déterminer le sexe de quelqu'un comme Tyler Durden (qui aurait fait un grand personnage féminin) ou Shannon McFarland (l'héroïne de Monstres Invisibles, qui est en fait mon incarnation). Les péripéties de mes histoires sont basées sur les concepts d'accomplissements via le masochisme et l'auto-destruction. C'est la seule façon de confronter quelqu'un à d'horribles défis sans en faire une victime. La lecture de Foucault m'a donné tellement de bonnes idées.Choke est peut-être votre exploration la plus poussée de votre thème récurrent, la quête identitaire. Dans ce livre, dans Berceuse et dans Journal Intime, vous apportez des solutions paranormales à ce problème. En auriez-vous fait le tour ?Il y a toujours eu des miracles dans mes livres. Fight Club avait cette personnalité tangente. Survivant avait cette médium dominatrice. Monstres Invisibles avait d'énormes coïncidences accidentelles. Mais avec Berceuse - oui - les personnages sont utilisés et motivés par des circonstances plus externes. C'est dans la tradition des romans horrifiques, où une victime est généralement attaquée par un monstre. Aucune de mes victimes n'est réellement innocente, mais avec mes trois derniers romans, elles sont moins les causes de leurs désastres que ne pouvaient l'être les héros de mes quatre premiers livres. Votre dernier recueil de nouvelles, Haunted, dévoile une nouvelle fois votre don pour retourner l'estomac du lecteur. Avez-vous des limites, des choses que vous ne pouvez évoquer ?Je refuse de décrire l'agression d'une victime innocente. Je refuse de décrire des mauvais traitements faits aux animaux. Dans tous mes livres, les victimes sont largement à blâmer pour ce qui leur arrive. Personne, adulte ou enfant, n'est abusé pour le plaisir. J'hésite également à dépeindre un conflit racial. En tant que blanc, il me semble stupide de penser que je pourrais ajouter quelque chose d'utile à ce débat.Enfin, vous évoquez dans Le Festival de la Couille vos rencontres avec Marilyn Manson et Trent Reznor. Quel genre de musique écoutez-vous ?D'année en année, jamais la même. J'ai tendance à me raccrocher à mes préférées, en fonction des thèmes de mes livres en cours d'écriture. J'utilise la musique pour me mettre dans la bonne humeur pour travailler sur une histoire. J'utilise la musique comme une drogue. Pour Fight Club, ma drogue était Nine Inch Nails. Pour Haunted, j'écoutais Bauhaus, surtout leur chanson Bela Lugosi's dead. Comme je vous parle, j'écoute les Pink Floyd, mon groupe préféré depuis que j'ai dix-huit ans. Ils sont toujours aussi bons. Comment suis-je devenu si vieux ???Chuck Palahniuk"Journal intime" (Gallimard) & "Le Festival de la Couille et autres histoires vraies" (Denoël)