Toujours not dead, et bien raides

Toujours not dead, et bien raides

Un album sorti début 2008 (Banco), un album rétrospectif sorti il y a dix jours, et une tournée des 20 ans de Ginette qui s'achève le jeudi 11 décembre à Bourgoin-Jallieu : état des lieux avec Grégoire Simon, musicien des Têtes Raides. Propos recueillis par Bernard de Vienne

Petit Bulletin : C'est la tournée des 20 ans de Ginette, mais vous êtes un peu en tournée permanente depuis 20 ans ?
Grégoire Simon : On fait quand même des pauses pour que Christian prenne le temps d'écrire des chansons, et nous prendre le temps de les mettre en cuisine, faire de la matière première des plats préparés. Faut du temps pour préparer les plats, c'est inéluctable ! Mais ce qu'on peut dire c'est qu'on n'a pas cessé l'activité, contrairement à des formations ou des artistes qui mettent entre parenthèses les choses, nous on a plutôt resservi le couvert à plusieurs services. On n'a pas fermé la boutique, on n'est pas partis en vacances quoi.C'est une tournée comme les autres, ces 20 ans de Ginette, ou est-ce qu'il y a quelque chose en plus ?
C'est une tournée comme les autres, même si chaque fois est différente parce que c'est pas les même morceaux, etc... Mais c'est vrai quand même que pour les 20 ans de Ginette, on a passé pas mal de temps à se remémorer entre nous deux trois petites anecdotes qu'on ne s'était jamais dites, c'est des petits moments. C'était assez rigolo de recroiser des gens sur la route. 20 ans ça vient pas non plus de nulle part, et on espère surtout que 20 ans ça va quelque part : on voit plutôt demain qu'hier. En même temps, c'est bien de temps en temps de se poser un tout petit peu, et de se dire qu'on s'est quand même bien fendus la gueule. L'accueil est bon, le public est au rendez-vous ?
Ah, le public est super, les gens qui viennent nous voir sont super là, mais l'accueil des salles en ce moment c'est pas forcément que le délire. Les gens qui programment la musique, on peine à les saluer à chaque soir de concert. On n'arrive pas à les trouver, ils se cachent, ils ont peut-être d'autres chats à fouetter, des chats à nourrir, je sais pas, des chiens à faire pisser, voilà, mais c'est vrai que c'est pas la grosse présence. Mais nous on est présents, et le public aussi... chaque soir de manière chaque fois différente et chaque fois réussie. Tu emmagasines du bonheur pour longtemps. Le fait que la tournée se termine à Bourgoin, c'est un hasard, ou est-ce que ça a un sens particulier ?
Y a pas de hasard! Au départ ça devait se terminer à Cannes, et ça se termine à Bourgoin, voilà. On est un peu sur nos terres (il vit dans la Drôme, ndlr). Quand t'as sillonné la France de long en large, on peut dire qu'il y a peu d'endroits où tu te sens en terre inconnue, parce que Rhône-Alpes, on y a quand même beaucoup beaucoup traîné. Moi je suis en Rhône-Alpes, Sergio (Serge Bégout, guitariste, ndlr) aussi, Titi du groupe Pas (rockabilly blues) qui fera la première partie des Têtes Raides ce jour-là est lyonnais, on est quand même un peu dans le coin, jamais très loin. On a joué à l'Isle-d'Abeau y a pas longtemps. Surtout j'espère que toute la jeunesse berjalienne - c'est comme ça qu'on dit ? - soit présente et omniprésente ce soir-là. Quand on a découvert Têtes Raides il y a dix ans, avec l'abum des dix ans de Ginette, avec Gratte-Poil, le Bout du toit, les Oiseaux, c'étaient des albums, des chansons qu'on pouvait reprendre chez soi à la guitare, mémoriser facilement. Après Gratte-Poil les deux albums suivants sont assez déroutants : la qualité, l'énergie sont là, mais c'est plus difficile de se les approprier.
Au moment de Gratte-poil, en tout cas on se dit qu'on peut faire vraiment comme on a envie. Qu'est-ce qu'on se fait chier, c'est aussi qu'est-ce qu'on se marre pour nous, c'est un moment extraordinaire. On a les moyens artistiques de pouvoir développer autre chose que ce à quoi on avait habitué les gens. On est un peu des iconoclastes quand même, après la Galette en carton on avait fait Mange tes morts, et puis là on fait Qu'est-ce qu'on se fait chier. Quand on pense qu'on est saisissable peut-être qu'on redevient insaisissables. Nous on a envie de se fendre la gueule, on est pas formatés sur des schémas, on respecte trop la liberté pour ne pas se permettre ça. C'est ça qu'on a fait valoir. La liberté, peut-être plus encore aujourd'hui qu'en 2003, déroute énormément les gens. Moi c'est des albums que je trouve super, peut-être que Qu'est-ce qu'on se fait chier a encore plus dérouté que Fragile. Sur Fragile, il y a un petit énervement à son paroxysme. On a sorti 3 albums en six ans, je ne sais pas s'il y a beaucoup d'artistes français qui ont fait ça ces dernières années. Gratte-Poil avait eu du succès, il y avait déjà eu du succès avant, on avait rencontré du public, c'est vrai qu'on a repris les choses un petit peu au départ. On s'est vraiment surtout fendus la gueule, on était avec une insouciance et une liberté qui nous ont vraiment échauffé. On a laissé des gens sur la route par rapport à ça, et puis on a aussi découvert plein de gens nouveaux. Et puis il y a des gens qui nous ont redécouvert, justement des gens qui nous avaient découvert avec Mange tes morts, qui nous ont redécouvert avec Qu'est-ce qu'on se fait chier et Fragile.Ils étaient restés sur le côté plus brut de décoffrage...
Ouais, au niveau textuel Christian est peut-être plus explicite, et dans la forme musicale on a opté pour la guitare électrique alors qu'on était assez acoustique. Gratte-poil était vraiment à la rencontre des deux. J'ai trouvé ce petit bord vraiment passionnant. On se dit tiens, Têtes Raides c'est aussi ça. La liberté c'est un truc qu'il faut défendre.Les sans-papiers, l'expulsion, c'est des thèmes récurrents...
Les libertés fondamentales, la liberté humaine, ne sont pas des combats liés à la musique, ce sont des combats de l'homme en général, je souhaite à chaque personne d'avoir ce combat à un moment donné. Le non-respect de la liberté et le non-respect de l'humain sont des trucs qui doivent nous faire réagir, sinon on coule. Mais on n'est pas plus énervés que n'importe quel citoyen ordinaire, simplement on a des moyens de pouvoir donner une réalité à cet état. On le dit dans les chansons mais pas de manière didactique, on le dit de manière plutôt énergique et, entre guillemets, “poétique“, qui donne de la place à chacun pour se réapproprier les chansons là où il veut.Christian Olivier fait les textes, mais j'imagine qu'il y a une cohésion du groupe par rapport au sens. Comment se placent les Têtes raides ?
On n'est pas dans la chanson engagée, on est plutôt engagés dans la chanson. On fait des chansons qui ne viennent pas de nulle part non plus, il y a un vécu avec des gens, il y a de l'espoir, parfois de la tristesse, mais il y a toujours de l'énergie, et on croit toujours que c'est possible, le collectif. Têtes Raides, c'est avant tout un groupe. En interview, Brassens disait que quelles que soient ses opinions à lui ça pouvait transparaître dans ses chansons mais c'était pas son but en faisant des chansons. Il y avait une démarche artistique, d'écriture, et puis après..
Je suis d'accord avec ça, parce que c'est vrai que les mots que Christian écrit à la fois ont un sens, et un non-sens aussi, et tous les sens. Il y a la musicalité des mots, il y a le rythme, il y a plein de choses, on n'est pas en train de décrire une situation, une scène. Il y a des tiroirs là-dedans. C'est malgré tout assez fin. Il y a une interaction du groupe dans les chansons, ou est-ce que Christian arrive avec des textes tout faits ?
Non, Christian fait un travail solitaire là-dessus. Il façonne les chansons et ensuite on les habite, on leur donne une forme humaine et musicale qui est largement avancée par le travail qu'a fait en amont Christian. Il pense à une musique en arrivant, ou est-ce que c'est vraiment un travail collectif ?
Souvent les mots viennent avec la musique aussi, hein. La musique vient avec les mots. Il choisit souvent l'instrument sur lequel il va travailler, si c'est la guitare ou l'accordéon, c'est un travail qu'il fait plutôt de manière solitaire, en tout cas c'est vachement clair pour nous.Quand c'est des reprises de textes, c'est un choix de Christian uniquement ?
Ça peut arriver qu'on intervienne là-dessus, mais en l'occurrence on a toujours repris des textes, ça c'est pas d'hier. Desnos, Prévert, Norge... Il y en a au moins une dizaine, une quinzaine. Après quand le morceau passe dans la cuisine, on se met chacun au piano. Parfois aussi on regarde. On a réussi à ce qu'il n'y ait pas d'automatisme, c'est pas parce qu'il y a un morceau que tout le monde joue. Sur le morceau, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, la petite musique qui est derrière, ce petit air un peu reggae, c'est pas tellement habituel dans les Têtes Raides ?
Ouais, mais par contre on a toujours adoré le reggae, le ska, c'est des trucs qu'on a depuis le début. Dans la Galette en carton, le premier album, il y a un peu de ça derrière. On vient de sortir une compil pour les 20 ans de Ginette, dans laquelle on voit justement des petits bouts de chacune des époques, et il y a aussi un inédit avec le premier 45 tour des Têtes Raides et deux trois merdes qu'on a fait à côté, et puis un DVD. C'est notre actualité discographique, c'est un bel objet pour Noël ! Pour les gens qui aiment Têtes Raides, il y a deux trois perles, le DVD est super, c'est un concert qu'on a fait au Bataclan en 2006, c'était le dernier concert de Lulu, notre batteur qui est resté avec nous pendant une quinzaine d'années (il est parti refonder son groupe, ndlr), c'est un super moment. C'est sorti chez Monslip, le label des Têtes Raides à proprement parler. C'est un label avec plein plein de projets, Loïc Lantoine vient de sortir un live, Valhère vient de sortir un disque qui est super, les frères Guissé viennent de sortir un disque qui est super. Dans le marasme discographique actuel, il y a encore des labels qui sortent des disques, qui travaillent et qui croient aux artistes.En plus de 20 ans de carrière vous avez dû influencer des tonnes de gens, est-ce que vous avez des retours de groupes qui marchent et qui vous disent, c'est grâce à vous, est-ce que vous sentez une transmission ?
Quand tu fais des chansons, ça ne t'appartient pas. Par contre dans Têtes Raides il y a de l'énergie, cette énergie a pu servir aux uns à se lancer dans l'écriture, à d'autres à se lancer dans la musique, à d'autres aussi à faire du théâtre, à d'autres à devenir garçon-boucher... C'est le propos de la culture en général, c'est de donner, de balancer une expérience et de la formuler. On est papa et maman de personne en particulier, si à un moment donné des gens disent “Têtes Raides, ils m'ont donné envie de faire ça ou ça“, je trouve ça génial. C'est le plus beau compliment qu'on puisse faire. Dans les jeunes que vous produisez en ce moment, il y en a qui vous le disent, ça ?
Tu sais nous on n'aime pas trop la complaisance, l'onanisme c'est pas vraiment notre truc, ou c'est de l'intimité. Mais non, là-dessus, les gens vivent ce qu'ils veulent vivre, ça leur appartient, on n'a pas à être maître et juge de tout ça, Et moins ça t'appartient, mieux c'est. On est peinards de ce côté-là, et avec Qu'est-ce qu'on se fait chier on avait déjà réglé l'histoire.Dans quel sens ?
Bah que les gens prennent ça bien comme ils veulent, quoi. On leur dit ce qu'on est. On a toujours dit ce qu'on était avec des mots et des formes différents, on a toujours été clairs là-dessus. Têtes Raides, c'est pas un chemin balisé de gauche à droite, qui va d'un point à un autre, ça va chercher à d'autres ressorts quoi. Et à d'autres horizons aussi. Têtes Raides / PAS
Jeudi 11 décembre à 20h
Salle Polyvalente de Bourgoin-Jallieu

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