Musique / L'inventeur du style blufunk viendra défendre les couleurs de son Nigerian Wood cette semaine au Summum. L'occasion de revenir sur le parcours de ce garçon aussi talentueux que généreux qu'est Keziah Jones. François Cau
Blufunk is a fact ! sort en 1991 et déclenche l'hystérie des masses à la grâce du single Rythm is love. Ce coup d'essai fait office de manifeste musical pour le musicien, qui développe dès lors son propre style, le blufunk (donc), mélange de blues, de funk et de soul porté par les spécificités de son interprète : le jeu de guitare précité, où l'instrument oublie parfois sa nature première pour se transformer en outil percussif, une voix stupéfiante dont le timbre ne cesse de faire des montagnes russes, et enfin, last but not least, une présence scénique à même de faire chavirer les foules les plus revêches. Ce dernier aspect, fondamental, est la meilleure clé d'entrée dans l'univers du musicien – la scène demeure son médium de prédilection, celui où il peut le mieux se rapprocher de l'âme de ses modèles. «Je suis immédiatement touché par le son qui m'entoure, j'essaie de faire passer cette émotion au public, de lui faire comprendre qu'il entre dans une zone très spéciale. C'est le parti pris des musiciens nigérians, quand Fela Kuti jouait, il te faisait entrer dans une vibration collective. C'est la seule façon de communiquer avec la musique pour moi, ne faire plus qu'un, que les gens te fassent confiance pour les faire voyager et les ramener en douceur». Et la magie opère : pour avoir déjà vu Keziah Jones dans les pires conditions (sous une pluie battante et avec du matériel défectueux), on peut vous assurer que le garçon ne s'en laisse pas compter et assure le show dans des proportions étonnantes. A la recherche du temps perdu
Dès lors, flanqué d'une renommée internationale conséquente consolidée par d'innombrables prestations plébiscitées, Keziah Jones prend son temps entre chaque album, travaille son jeu de guitare désormais époustouflant, s'adonne à l'écriture, la peinture, et même au cinéma le temps d'un court-métrage. Il donne l'impression de butiner, de s'égarer mais reste toujours attaché à la qualité de son art, qu'il appréhende de plus en plus comme une passerelle vers ses racines africaines. Keziah Jones a en effet souffert de l'éloignement forcé de son pays natal, éloignement auquel il a contribué en s'écartant du chemin balisé par ses parents. Revenu triomphalement au Nigeria auréolé de sa gloire, il fut le témoin tardif de ses dérélictions sociales, politiques et économiques, et porte en lui ce paradoxe déchirant de citoyen du monde irrémédiablement déphasé des problèmes de sa patrie natale. D'albums en albums, Keziah Jones aborde avec plus d'acuité les tourments de l'Afrique contemporaine, dont il se veut l'un des hérauts, histoire de sensibiliser les cols blancs massés dans ses concerts à la plus grande tragédie humaine et économique des siècles écoulés. Vaste projet. Keziah Jones
Dimanche 1er février à 18h, au Summum
Album : “Nigerian Wood“ (Warner Music France)