Porter la voix

La programmation de la 21e édition des 38e Rugissants est une Tour de Babel bâtie sur le socle du langage commun de tous les artistes invités : la musique (oui, la musique). François Cau

La formule est tout ce qu’il y a de plus adorablement candide, mais qu’importe, soyons donc fleur bleue : le langage musical traverse les frontières, rassemble les hommes autour d’une même énergie, d’un outil de communication universel. Cette vérité pleine de bon sens a pu être largement éprouvée par les créateurs sonores remplissant harmonieusement le programme des 38e Rugissants. Cette manifestation exigeante, défricheuse des territoires les plus éclectiques de la musique contemporaine, a ainsi rassemblé des musiciens qui ont fait le grand saut de la théorie à la pratique, en réinterprétant chacun à leur façon le thème fécond de cette année – la parole sous toutes ses formes. Jacques Rebotier, invité privilégié de l’événement, déstructure l’approche de ses instruments cobayes dans L’oreille droite et Vous avez la parole, vous avez ma parole. Zad Moultaka expérimente dans L’autre rive un concert en deux temps, séparé en deux langues inventées pour l’occasion, où le collectif et l’individuel se répondent dans un jeu de miroir signifiant. Eryck Abecassis transformera les rues de Pont-de-Claix et Echirolles en laboratoire auditif, où la déambulation happera le passant dans ses multiples couches sonores. Le génial David Krakauer fera le grand écart entre la musique klezmer et le classique, la création Sabar ring entre jazz et percussions sénégalaises, Hugues Dufourt s’inspirera des œuvres picturales de Goya et Van Gogh, Sylvain Kassap rassemblera musiciens burkinabés et l’Ensemble Ars Nova dans le bien nommé spectacle La langue d’après Babel.Tirer la langue
Mais attention, ces confrontations d’esthétiques ne sont pas de simples superpositions de cultures, l’une attendant poliment que l’autre ait joué sa partition avant de s’exprimer à son tour. Non, nous avons affaire à des entreprises d’émulation en série, d’échanges dialogués où la pratique musicale se fait le vecteur de partage entre les artistes. Lesquels ne s’arrêtent pas en si bon chemin, mais, dans le plus pur esprit des 38e Rugissants, questionnent leur art pour le faire avancer dans des directions inattendues. Cette démarche trouve un écho particulièrement vibrant dans l’appréhension par le festival d’une discipline dont l’engouement récent a quasiment eu raison de ses présupposés de départ : le slam. De son énergique naissance urbaine à sa récupération tous azimuts par la moindre collectivité territoriale, l’on se disait que ce genre avait grand besoin d’une remise à plat, ou tout du moins d’être secoué sur ses bases… Ce sera chose faite lors de trois événements atypiques : la création A quel Dieu parles-tu ? verra les mots puissants du dramaturge Valère Novarina décortiqués par les très doués Dgiz et Capitaine Slam ; l’impatiemment attendue soirée Grand Slam exposera la largesse du spectre sonore de la discipline tout en l’ouvrant à des jeux de langue du meilleur goût (Dgiz s’y frottera aux sonorités électro, on pourra entendre un extrait d’un opéra dédié à Georges Perec, des variations autour de Györgi Ligeti, Steve Reich ou John Adams, sans oublier les indispensables locaux de l’étape Bastien Mots Paumés et Didier Malherbe) ; enfin, Benat Achiary et Serge Pey se chargeront de nous faire entrer en transe poétique en livrant leur propre interprétation du genre. Perdre ses mots
Cantonner les 38e Rugissants à la seule recherche musicale serait un dramatique écueil, tant chaque édition dispense son lot de claques scéniques assénées avec une terrassante vigueur. Cette année, on sera particulièrement attentif à deux spectacles à même de nous faire rosir les joues. Tout d’abord Le Concile d’amour, œuvre maudite, blasphématoire et logistiquement cauchemardesque d’Oscar Panizza, voyant le Diable appliquer la punition divine aux hommes infatués, qui sera mise en scène par Jean-Pierre Larroche, scénographe de haute volée qui nous promet un opéra pour voix, instruments, marionnettes et machineries. Enfin, il est beaucoup espéré de L’Île solaire, déclinaison scénique de Vendredi ou les limbes du Pacifique par Samuel Sighicelli, dont on avait énormément apprécié le spectacle Marée noire précédemment présenté aux 38e Rugissants.Les 38e Rugissants
Jusqu’au 28 novembre, lieux divers

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