Son troisième album, "Hypernuit", a enfin fait sortir Bertrand Belin de la confidentialité, révélant un artisan précieux de la chanson française, brillant par sa singularité et son écriture inimitable. À ne pas rater cette semaine à l'Épicerie Moderne. Christophe Chabert
Arnaud Fleurent-Didier ou Florent Marchet en ont fait l'expérience : ce n'est pas forcément avec son meilleur album que l'on retient l'attention du public. Question de stratégie promotionnelle ou de formatage, toujours est-il que la maturation ne va pas forcément avec la maturité. C'est un peu ce qui arrive à Bertrand Belin. Son deuxième album,
La Perdue, est passé inaperçu ; sa dernière venue à Lyon, en première partie de Dominique A., avait à peine été annoncée par l'organisateur du concert. Et pourtant, sur disque comme sur scène, Belin a littéralement ensorcelé toux ceux qui avaient daigné l'écouter. Car
La Perdue était l'œuvre d'un alchimiste, un magicien dont on ne comprend toujours pas, après une bonne centaine d'écoutes, la formule pour produire des chansons si entêtantes. Il n'y a pas beaucoup d'ingrédients dans cette potion-là : la voix de l'interprète, grave, ténébreuse, possède une musicalité discrète ; les arrangements sont minimaux, une guitare électrique, acoustique ou un banjo, une légère batterie à l'arrière-plan. Et les textes ne s'étalent pas sur des pages, mais se rétractent en quelques mots comme des phrases amputées (un exemple,
La Tranchée : «J'avais un ami / J'avais cru / Il a dû filer / Il a dû / La nuit est venue / Venue net / Venue mettre / En place son froid»). Bertrand Belin empoigne le langage comme Blanchot l'avait fait avant lui en littérature : dans l'épaisseur des mots, coupés de leur référent, organisés en escaliers de sens qui défient narration et figuration.
Perdue ? Retrouvée !Hypernuit, troisième album, démocratise cette approche sans équivalent dans la chanson française. On y retrouve donc cette méfiance radicale envers le réalisme, ces compositions sinueuses qui refusent de choisir une mélodie, un refrain, et préfèrent parfois un mot, un motif, une idée pour leur servir de guide fantasque. Légèrement plus pop, l'album n'a pas le caractère hypnotique de
La Perdue. On y entend pourtant d'excellentes chansons : le morceau-titre, rencontre entre le
Kornwolf de Tristan Egolf et le Lewis Carroll de
La Chasse au Snark, mythique poème sur les apories logiques du langage dont on repère encore la trace sur
Neige au soleil et
Nord de tout. La musique de Belin est toujours aussi précieuse, délicate, artisanale, unique ; elle est à l'image de son auteur, fièrement campé dans son domaine réservé, loin des préoccupations matérialistes des chanteurs français.
Bertrand Belin / Marc Minelli / Titi ZaroJeudi 9 juin à 20h30, au Théâtre 145