Tête d'affiche de la soirée de vendredi à la Maison de la Musique de Meylan, le Messin Alexandre Longo, alias Cascadeur, auteur de l'aérien The Human Octopus, nous raconte son goût des masques, ses angoisses et son rapport ambivalent avec la notion de succès. Propos recueillis par Stéphane Duchêne
Qui est Cascadeur ?
Alexandre Longo : Lorsque j'ai décidé de créer ce personnage, il était là comme une sorte d'infirmière. Je faisais pas mal de scène avec d'autres groupes [les groupes nancéiens Orwell et Variety Lab, NdlR] mais toujours en tant qu'homme de l'ombre. L'idée d'être au centre, c'était une hantise. J'accumulais les morceaux mais je suis tellement émotif que j'étais ému même quand je les jouais tout seul au piano chez moi. J'ai donc eu l'idée d'une doublure. Or s'il y a bien un individu qui remplit ces fonctions là, c'est bien le cascadeur. C'est la doublure d'une star exposée, dont on ignore le visage. Je voulais créer une sorte d'ambivalence : une musique qui vient de loin et un personnage un peu improbable. Finalement, l'un et l'autre se nourrissent mutuellement. Quand j'ai l'apparence de Cascadeur, je n'ai pas cette sensation d'être déguisé. Quand on vient me voir à la sortie de scène, j'ai souvent encore un masque sur la tête, je finis par l'oublier, ça devient ma peau.
En tant qu'ermite autoproclamé, comment as-tu vécu le succès critique de l'album The Human Octopus et l'exposition qui s'en est suivi ?
À ce moment-là, j'ai compris pourquoi être casqué était le bon choix. C'est un peu complexe pour moi d'appréhender tout ça. Il y a quelques années, tout ça me semblait inatteignable. Il y a eu des moments où ça a été compliqué de survivre, à tout point de vue, avec ce projet. Alors d'un coup avoir des papiers dans Libé, dans Les Inrocks, c'était vraiment très mystérieux. L'idée d'exposition était déjà problème mais la célébrité, je trouve ça effrayant et très destructeur. Or un cascadeur c'est quelqu'un qui veut durer, pas se détruire. Mais c'est quelque chose que je vis à distance. D'une part, le fait de vivre à Metz me préserve un peu. Et puis comme il y a ce dédoublement, ce succès, qui reste quand même relatif, me touche tout en étant destiné à quelqu'un d'autre.
Comment as-tu géré la transposition de ton album, très ambitieux musicalement, à la scène où tu joues seul ?
Il n'y a pas de moment que je préfère mais la scène c'est du jeu pur. Quand je compose chez moi, je passe des centaines d'heures sur un détail, je suis complètement obsessionnel. Sur scène, tu as une heure et tu dois être présent. Comme un coureur de fond, tu te prépares pendant des années et tu sais que tu as une course le 27 juillet à 19h ; il faut être là. Il n'y a pas d'échappatoire, ce n'est pas quelque chose que tu peux faire de façon légère. Je trouve que ça reflète pas mal mon parcours. Et puis c'est un exercice très physique. Quand tu es sur scène avec un masque de catch mexicain, un casque d'aviateurs par dessus, des projecteurs sur toi et que tu dois chanter avec tout ça, c'est épouvantable. Je me mets en péril physiquement, même si ça ne se voit pas parce que je suis masqué.
Est-ce que tu pourrais envisager un jour de tomber le masque ?
Non, car c'est une des raisons d'être du projet. Sans ce casque et sans ce masque, je chanterais différemment et je jouerais différemment. Sur scène, il n'y aurait pas cette interaction avec le public, ce côté cinématographique. Peut-être que je trouverai des alternatives sur d'autres projets, mais j'ai envie de garder cette idée de doublure. Au point que je me fais parfois remplacer. Je ne l'ai pas encore fait sur scène encore mais pour des apparitions publiques. Ça fait un peu de moi un escroc mais il y en a tellement d'autres dans la musique.
D'un point de vue purement cynique, penses-tu que tu aurais le même succès sans l'image véhiculée par Cascadeur, qui interpelle immédiatement ?
Je ne me pose pas cette question. Quand je fais ça, c'est vraiment pour des raisons intimes. J'ai lu des critiques disant que ça avait été déjà fait, mais ces gens-là sont passés à côté du projet sans comprendre que tout était lié. Un musicien, ce n'est pas seulement un instrument, c'est un corps, c'est un corps dans l'espace, avec des vêtements, des éclairages sur un visage. Arriver sur scène en jean et en t-shirt, je le conçois, mais pour moi c'est omettre toute une dimension du projet. Ce qui est important, c'est que chacun puisse faire de Cascadeur son interprétation personnelle et intime. À mon sens dès lors que tu montres ton visage, tu es cuit. Je ne dis pas que le visage n'est pas important, ni intéressant, c'est le plus beau des masques mais on n'en a qu'un. Moi, je préfère avoir plusieurs masques. Le grand paradoxe de Cascadeur, c'est que pour ne pas imposer une image, j'ai dû justement en imposer une.
Cascadeur + Greenshape + Rover
vendredi 18 novembre, à la Maison de la Musique (Meylan)