Début février, Grenoble est entrée dans l'ère glaciaire. Dans la ville grise et déserte, les rares passants des rues ont moins de trente ans. Ce soir, le Petit Bulletin s'apprête à abattre l'un des marronniers qui pousse dans les bois noctambules, le blind test du mercredi. RLR
L'essor du blind test est une conséquence des avancées de l'informatique, et à son corollaire des échanges qualifiés de pirates qui ont favorisé l'accès à des extraits sonores venus de tout le globe. Une dématérialisation des informations qui permet aux selectors en herbe d'emporter sur une simple clé USB les caddies de vinyles et de CDs qui seraient normalement nécessaires aux étapes du jeu. De ce qu'on a pu en voir dans ses récentes déclinaisons au bar À l'Ouest, ce jeu mêlant habilement culture, distraction, ambiance et rapidité de penser s'est édulcoré en une gentille animation de spécialistes des platines qui viennent chaque semaine s'affronter dans des lieux répertoriés pour certains depuis trois ans.
« Je veux le nom, et l'interprète »
Pour se plonger dans cette ambiance, direction le Metropolitain. À la porte, le gardien me confirme ce que je suis venu chercher – emprisonnés dans les murs du débit de boissons, les esprits échauffés par la bière et le jeu délivrent un taux anormal de testostérone. Les enceintes diffusent des extraits d'un hard FM de fin de règne, à son apogée dans les années 1990/2000, dont les jeunes mâles s'efforcent d'identifier les interprètes. La sélection du patron est élitiste, et la concentration de la communauté confine au recueillement. Regroupés par préférences électives, les spécialistes du hard, de la pop et de la variété conjuguent leurs connaissances et remplissent des grilles de loto de 10 à 12 titres : ça a l'avantage de laisser une chance au moins vif lors des sessions de rapidité. Chaque chanson trouvée est un indice vers le Graal, le plus souvent une bouteille de cocktail est remise aux équipes gagnantes.
Tout est dans la clientèle
De la forme originale du jeu, popularisée par Ardisson dans les blind test de Tout le monde en parle, il ne reste plus que les fournées des questions rapides, où en vingt secondes par titre maximum, la messe est dite dans une foire d'empoigne bonne enfant et gueularde. Pour l'esprit de fête, un pilier me glisse que tout est dans la clientèle : des duos avec David Guetta à la série Belge, l'intérêt du consommateur est très cloisonné – essayez donc de proposer une playlist reggae dans un lieu branché techno, juste par jeu. Le sélecteur doit maintenir l'intérêt entre découverte et plaisir auditif, l'adaptation est la règle. Dans une compétition où le houblon sert de stimulant, les puristes regardent d'un sale œil ceux aux yeux rivés sur leur smartphone ; l'un des concurrents m'affirme qu'il a d'ailleurs été heureux de découvrir que le lieu est dépourvu de réseau, ce qui rend impossible l'usage des logiciels à reconnaissance de fréquence. Série jazz, l'équipe du pilier est devant. Le sol se constelle de paillettes.
Encadré: quatre conseils pour organiser votre blind test
1/ Avoir une culture musicale importante et diverse pour évaluer la capacité des joueurs à retrouver les interprètes (le groupe Blue Oyster Cult plus dur que Iron Maiden, plus dur que Scorpions, plus dur que AC/DC).
2/ Préparer des thèmes insolites : reprises plus connues que les originaux, titres reggaes par des artistes mainstream, premier succès d'un artiste...
3/ Equilibrer la difficulté sur les thèmes : la solution « argent » avec Money de Pink Floyd, Argent trop cher de Téléphone, Money, money, money d'Abba, sera plus vite devinée que «L'alliance franco-allemande » avec National 7 de Stéréo Totale, Europa de Falco, Tour de France de Kraftwerk.
4/ Varier les styles, que le connaisseur en jazz, en variétés françaises ou en classique marque aussi un point.