Au début était la curiosité. Celle qui étreint tout amateur de musiques «electronic & indie» à l'aube du dévoilement de la programmation annuelle de Nuits Sonores. Puis vint l'impatience. Celle qui ronge ledit amateur alors qu'il bosse son cardio en vue d'honorer ce pass payé l'équivalent de quinze paquets de clopes. À quelques heures du grand plongeon dans l'abîme de décibels qu'est la dixième édition du festival lyonnais (au rayonnement national voire international), l'heure est désormais à la prise d'élan. Et par extension, à la prise de recul. Benjamin Mialot
Nuits Sonores, événement de niche (même si consacré à la dernière révolution musicale en date) devenu en une décennie un modèle de viabilité (son taux d'auto-financement dépasse les 80%) et l'un des principaux atouts de la ville de Lyon en termes d'attractivité, aurait toutes les raisons de se reconvertir dans le tressage de couronnes de lauriers. Or, dans ce secteur sclérosé par le mimétisme qu'est le marché des festivals (cet été, rien qu'en France, Zebda est annoncé sur pas moins de trente-six dates et Orelsan, Shaka Ponk, 1995 et Skip the Use sur une vingtaine chacun), s'il est un rendez-vous annuel dont la cohérence et la singularité n'ont pas été entamées par les années et le succès, c'est bien celui-ci.
Un plan béton
À quoi cela tient-il ? Principalement à une double ambition de laquelle l'association Arty Farty, qui tient les rênes du mastodonte, n'a jamais dévié, et que Vincent Carry, cofondateur et actuel directeur des Nuits, présente en ces termes : « Nous sommes partis du constat que la deuxième ville de France ne disposait pas d'événement majeur en matière de musiques électroniques, qu'il y avait un manque. Un manque d'autant plus important que la scène lyonnaise était déjà à l'époque très importante, très qualitative et très diversifiée. Nous avons d'emblée voulu présenter cette diversité, plutôt que de nous cantonner à une niche, et ceci dans le respect de deux objectifs : l'exigence artistique, et un objectif encore plus important d'inscription urbaine. Ce sont deux choses qu'on ne remettra jamais en question. » Côté urbanité, le festival s'est ainsi radicalement détaché de l'esthétique terrain de camping primant dans le milieu en investissant les endroits les plus symboliques et, parfois, les plus atypiques de la ville, fussent-ils religieux (la Chapelle de la Trinité), sportifs (la patinoire Charlemagne, la piscine du Rhône) ou industriels (les Salins du Midi, la Sucrière). Côté tympans, il a tout simplement vu défiler, de Einstürzende Neubauten à Jamie Lidell et de Ricardo Villalobos à Gonzales, pour ne citer que les meilleurs souvenirs de Vincent Carry, tous ceux qui, en France ou ailleurs, ont compté dans l'histoire du mouvement.
Emportés par la foule
La première année, 16 000 spectateurs se sont montrés sensibles à ces intentions. La suivante, près de 30 000. En 2010, ils étaient un peu plus de 80 000, obligeant Arty Farty à revoir sa copie question jauges, histoire de rétablir l'équilibre entre sécurité et décontraction qui a caractérisé le projet dès sa conception. Autant dire qu'il y a là quelque chose qui dépasse la simple réceptivité. Pour Vincent Carry, c'est le timing qui a fait le reste : « L'ascension de Nuits Sonores est corrélée à un facteur exogène : l'explosion du web. Le côté effervescent de Nuits Sonores est très connexe au fonctionnement d'Internet, plus encore depuis l'émergence des réseaux sociaux. Il y a eu un buzz très fort sur la première édition, dont l'ancrage urbain a été très documenté. Et puis cela faisait longtemps que la fanbase des cultures électroniques n'avait pu se réunir dans un contexte apaisé et bon esprit. On sortait d'une période d'assez forte répression, particulièrement en Rhône-Alpes. » Pour notre part, on y voit aussi les fruits des travaux de fédération des énergies locales (au travers des concerts défricheurs du Circuit électronique et des animations fofolles du parcours Extra!), d'ouverture à l'internationale (notamment sur le plan professionnel avec le Labo des festivals) et d'élargissement des publics (par le truchement de plateaux rock et aussi des Mini Sonores, enrichies cette année de quantité d'ateliers ludiques) menés par l'équipe au fil des ans. C'est d'ailleurs dans ces deux dernières directions que Vincent Carry voit le développement des Nuits se poursuivre. Mais d'abord, l'abîme. Il s'ouvre cette année sur une relecture du mythique Oxygène de Jean-Michel Jarre par quatre des producteurs les plus en vogue du coin (Danger, le duo Acid Washed et Arandel) et s'annonce plus profond et enveloppant que jamais.
Nuits sonores, du mercredi 16 au dimanche 20 mai, à Lyon.