Théâtre / À l'occasion de la reprise de son "Pauvre fou !" au Théâtre Prémol, on a rencontré la metteuse en scène Chantal Morel, figure emblématique de la scène théâtrale grenobloise, pour l'interroger sur quelques dates fortes de son parcours.
1997 : ouverture du Petit 38, quartier Saint-Laurent
En quittant le Centre dramatique national fin 1989, à cause d'un étouffement, d'un manque de compréhension, on a repris la compagnie jusqu'en 1994. On tournait beaucoup, et il y avait alors une vraie fatigue de tout le monde. Je pense qu'on était arrivés au bout de ce système : venir dans un lieu, jouer, se casser.
Une des personnes qui travaillait avec nous avant qu'on aille au CDNA avait pris cet endroit rue Saint-Laurent pour en faire un resto, mais ça n'a jamais marché. On est donc venus là, pour réfléchir. On s'est mis autour de la table, on a lu des textes, on a échangé. Un jour, je me suis mise à côté d'un comédien qui lisait un texte, et ça a été un véritable choc de le voir de si près... C'est hallucinant [l'architecture du lieu fait que l'on est à quelques mètres (voire centimètres) des comédiens – NDLR].
2005 : Fermeture du Rio, couvent Sainte-Cécile
C'était un relai exceptionnel. Le théâtre n'avait que comme souci d'avoir une dame devant un agenda pour nous donner les périodes disponibles. Du coup, on était renvoyés à comment l'on se débrouille chacun, une fois que l'on a l'outil – c'est-à-dire le lieu, un peu de technique, les costumes, les décors... Le reste – comment faire venir le public, l'intérêt du contenu... – était à la charge et la responsabilité de chaque compagnie. Après, le souci, c'est plus comment la fermeture a été faite.
Qu'un théâtre ferme, ce sont des choses qui arrivent... Mais là, symboliquement, vendre le théâtre dans lequel Georges Lavaudant a commencé, ça a été un geste très fort. Et puis le Rio était au centre-ville, avec la librairie, la boulangerie, l'église... : tout ce que l'on peut penser pour le quotidien. Le théâtre pouvait donc être quotidien, et non pas une chose exceptionnelle qui sépare. Cette situation géographique me semblait très importante à sauver, à défendre... Renvoyer le fait que la fermeture n'était pas grave parce qu'il allait se passer des choses au Théâtre de poche, où il est difficile de passer devant par hasard [il est au bout du cours Berriat – ndlr], était pour moi très dangereux...
2012 : Création du spectacle Pauvre fou !
J'ai été profondément et violemment choquée par Sarkozy. Avec ce qu'il s'était passé à la Villeneuve [le discours de Nicolas Sarkozy en 2010 – NDLR], l'inquiétude citoyenne est devenue oppressante. Et une inquiétude artistique aussi : ce qu'il a fait à la Villeneuve était une pure création, de la pure construction artificielle et fictive – ce qui, normalement, devrait être notre mission.
L'idée était de travailler à la Villeneuve comme on travaille ailleurs. On était partis sur En attendant Godot, mais très vite on a bifurqué sur Don Quichotte. Et on a associé les habitants, certains étant sur scène.
2013 : Annonce de la disparition du Centre national dramatique des Alpes, fusionné avec la MC2
Cette disparition est d'une logique glaçante mais incontournable. Au fil du temps, les missions des CDN se sont réparties en plein de choses différentes. Aujourd'hui, tout le monde a le souci de l'implantation, d'ouvrir les publics... Forcément, quand on est cinq sur la même mission, on patine...
Je pense que c'est le contenu des missions qu'il faut rediscuter, et les CDN pourraient avoir en charge non pas 360 soirées de divertissement par an, mais les textes les plus difficiles que l'on peut néanmoins rendre tout à fait accessibles.