De Naomi Kawase (Jap., 1h53) avec Kirin Kiki, Masatoshi Nagase, Kyara Uchida...
Auteure, entre autres, de l'éprouvant Forêt de Nogari (2007) – condensé de cinéma abscons –, Naomi Kawase trouve dans Les Délices de Tokyo une manière de rédemption en abordant la thématique de la gastronomie : elle insuffle une sensualité simple et joyeuse à son cosmos – toujours autant focalisé sur la transmission in extremis entre les générations. Car la nourriture a cette irremplaçable vertu d'assouplir les âmes, en plus de réjouir les papilles ou les pupilles ; les précédents Le Festin de Babette de Gabriel Axel (1987) ou Au petit Marguery de Laurent Bénégui (1995) en témoignent.
Discipline suivant une liturgie complexe, exercée par des artistes dans l'abnégation d'eux-mêmes, la tradition culinaire est ici montrée comme un ciment culturel intime et poétique. Elle est aussi le révélateur de ce Japon à la mémoire si sélective, toujours prompt à brandir avec fierté l'héritage d'un Empire millénaire, en occultant les aspects gênants de son histoire contemporaine. Les clients se pressent pour dévorer des gâteaux à la pâte de haricots rouges ; ils vont lâchement déserter en apprenant que celle qui les a confectionnés a été victime de lèpre, donc a dû subir toute sa longue existence la mise en quarantaine imposée par l'État à ces malades jusqu'en... 1996 !
Un scandale humain et sanitaire dont la société nippone est collectivement coupable, et auquel elle ne peut faire face aujourd'hui. Ironiquement, ce sont un cuisinier cabossé et une lycéenne fugueuse (autrement dit, deux de ces marginaux honnis par la doxa japonaise) qui vont se trouver les dépositaires de la recette magique, parce qu'ils ont accueilli sans préjugé la vieille cuisinière infirme. Quel savoureux paradoxe, finalement, de voir la quintessence du passé être perpétuée par ceux que le troupeau exclut, mais qui, ce faisant, s'en libèrent...
VR