Portrait / Alors que la quinzième édition de Musilac aura lieu du 8 au 10 juillet à Aix-les-Bains, on a rencontré le promoteur local Rémi Perrier, à l'origine du festival comme de tout un tas de spectacles à Grenoble et ailleurs. Un métier de l'ombre qu'il nous dévoile dans ses locaux, les pieds sur le bureau et la clope au bec. Magnéto.
« Je suis très bien dans l'ombre. Il n'y a d'ailleurs pas forcément intérêt et pertinence à ce que le spectateur lambda – et lambda dans ma bouche ce n'est pas péjoratif – me connaisse. » Voilà ce que nous dit d'emblée le « promoteur local » (c'est ainsi qu'il définit son métier) Rémi Perrier, personnalité phare de la scène culturelle grenobloise qui organise de nombreux concerts et spectacles à Grenoble et ailleurs – si la « tour de contrôle est à Grenoble », sa zone de travail s'étend sur Rhône-Alpes-Auvergne, la Bourgogne et la Franche-Comté.
Mais au fait, c'est quoi un promoteur local ? « Quand je réponds à des gens sur ce qu'est mon métier, j'aime bien dire que tout commence à la première affiche collée, au premier billet vendu, et va jusqu'à la dernière porte du dernier camion qui se referme à cinq heures du matin sur le parking de la salle. C'est un métier qui englobe tous les domaines indispensables à la bonne tenue d'un spectacle ou d'un concert. » Un métier « passionnant » qu'il exerce depuis plus de trente ans, et qui place sa société RPO comme un interlocuteur phare sur la place grenobloise, de nombreuses structures aussi différentes que le Summum, la Belle électrique, la MC2 ou encore le Grand Angle à Voiron faisant appel à lui.
« On travaille sur toutes les esthétiques »
Un succès qu'il analyse de la sorte : « Il n'y pas la place pour 36 RPO. Ce qui ne veut pas dire que je veux être hégémonique, mais il y en a quelques-uns qui se sont montés et qui ont souvent périclité. Non pas parce qu'on est les meilleurs, mais parce qu'il y a un gâteau – même si je n'aime pas trop cette expression – et que l'historique fait qu'on est bien implantés. Même s'il y a plein de spectacles qui passent à Grenoble dans lesquels on n'est pas impliqués. »
Pourtant, la liste de ceux qui transitent entre ses mains est vertigineuse – pour la saison prochaine par exemple : Renaud, Ben Harper, Ibrahim Maalouf, The Divine Comedy et d'autres en musique ; Élie Semoune, Valérie Lemercier ou encore Gaspard Proust en humour ; mais aussi des projets comme le spectacle pour enfants Les Schtroumpfs ! « On travaille sur toutes les esthétiques, du petit humoriste qui démarre à David Guetta au Stade des Alpes en passant par le reggae, le rock, la variété... »
Et qu'en est-il de ses goûts ? Rentrent-ils en compte dans ses choix ? « Je ne ferais pas beaucoup d'artistes si je les choisissais en fonction de mes goûts. En gros, il n'y a que Marine et Jean-Marie Le Pen que je ne ferais pas en concert ! Par contre, même si je ne les écoute pas tous en me levant le matin, je respecte l'ensemble des artistes que l'on fait. »
Musilac ? « Une nouvelle dimension »
En découle donc une proximité avec certains grands noms, même s'il assure ne pas aimer le jeu médiatique – « Je n'ai jamais fait de selfie avec un artiste ! » Il explique ainsi avoir tissé une relation de confiance avec des figures comme Bernard Lavilliers, Renaud, Guy Bedos, Calogero, Laurent Gerra (« un vrai ami, quelqu'un de très fidèle ») ou encore Gad Elmaleh, avec qui il échange souvent. De nombreux producteurs parisiens font donc appel à lui sans hésiter quand il s'agit de faire venir leurs poulains dans la région, presque par habitude. Ce qui est forcément confortable pour sa société, qui aujourd'hui se porte bien : entre 7 et 8 millions de chiffre d'affaires annuel (et même 11 en 2015, « année exceptionnelle ») pour sept salariés à l'année et, bien sûr, « plusieurs milliers de fiches de paie d'intermittents par an ». « On fait vivre beaucoup de monde. »
Une assise solide qui lui a permis de se lancer il y a 15 ans dans une grande aventure a priori risquée : l'organisation de son propre festival en Savoie, en face du lac du Bourget. Un projet né de la volonté de la municipalité d'Aix-les-Bains, même si la quasi-intégralité des fonds vient de RPO – la Ville d'Aix-les-Bains est le seul contributeur public, avec « une subvention de 260 000 euros pour un budget global de dépenses de 4.5 millions ».
« Là, on a pris une nouvelle dimension, même si on a commencé à être pris au sérieux qu'au bout de 4-5 ans. » Aujourd'hui, Musilac, c'est trois jours de festivités, une dizaine de concerts par jour (cette année Elton John, Les Insus, Nekfeu, Louise Attaque...) et une capacité de 30 000 personnes. « Je suis fier de ce que je suis et de ce que je fais. Je suis fier de Musilac. »
« Un métier chronophage »
Retournons en arrière pour comprendre comment Rémi Perrier en est arrivé là. Il voit le jour en 1966, à Grenoble. Il nous raconte la suite. « Vers 8-9-10-11 ans, j'écoutais beaucoup la radio. Après l'élection de François Mitterrand en 1981, il y a eu cette fameuse libéralisation de la bande FM qui a fait naître plein de radios, dont des musicales. J'en écoutais une en particulier qui s'appelait RVI, Radio de la vallée de l'Isère. » Une rubrique, baptisée "un auditeur présente", l'intéresse particulièrement puisqu'il s'agit de venir avec ses vinyles et d'en parler. Il sera retenu pour la faire, puis pour en faire d'autres ensuite comme un véritable professionnel. « De fil en aiguille je me retrouve animateur avec ma propre émission. » Il gravite alors dans le milieu musical, notamment pour faire des interviews – Lavilliers pour la première, puis Gainsbourg, Bowie, AC/DC...
« J'étais donc souvent dans les coulisses. Et ça me plaisait, je savais que je voulais faire quelque chose dans ce bordel. Parallèlement, je monte une petite asso loi 1901 avec des potes pour organiser des concerts de groupes que personne ne programmait – des trucs très rock et assez branchouilles. On faisait tout : attaché de presse, barman, régisseur, mec de sécu, producteur, colleur d'affiches... Ça a commencé à bien marcher. Un jour, en 1985, un mec m'appelle pour me proposer de faire Touré Kunda. Je lui ai tout de suite dit : "moi vivant, jamais", comme ce n'était pas du tout mon style de musique. Il a mis six mois à me convaincre, et on a fait un énorme score, le concert était très bien, belle communion avec le public... J'avais clairement eu une attitude de merdeux à la con de rejet primaire. »
Il signe là l'organisation de son premier grand concert, à Alpexpo (le Summum arrivera trois ans plus tard). Fort de cette réussite, on le contacte ensuite pour des noms de plus en plus prestigieux : Higelin, Gainsbourg, Pink Floyd en 1989... « À moment je bascule de l'associatif au job, au financier. C'est allé vite. » Il fonde dans la foulée sa société Lola Productions, mais celle-ci disparaît après une dizaine d'années de service. Puis après un passage à vide, il monte en 1996 RPO (pour Rémi Perrier Organisation – « comme j'avais explosé en vol, je trouvais bien l'idée que la boîte porte mon nom et que je répondrai ainsi de mes actes et de mes choix. Je n'ai pas à me cacher »), qui l'occupe aujourd'hui à temps plein, voire plus. « Je suis un peu 24h/24 dans ce métier chronophage et, si je peux dire, cerveauphage, surtout depuis Musilac. Même si j'ai une vie amoureuse, deux enfants, des amis... » On est rassurés pour lui !