Aux antipodes du nombrilisme coutumier des cinéastes débutants, Sacha Wolff raconte le parcours initiatique d'un jeune rugbyman wallisien dans un film ample comme un chant, tragique comme un combat, exaltant comme un haka. Un essai largement transformé, Prix de la mise en scène au dernier Festival du film francophone d'Angoulême.
Sacha Wolff vient du documentaire et cela s'en ressent : il possède cette capacité d'embrasser les atmosphères et cerner les personnages avec une économie de plans et de dialogues subtile – cet art d'aller à l'essentiel en évitant les ornementations superflues et l'épate. Aussi erratique que les rebonds d'un ballon ovale, la trajectoire de Soane, son géant balloté, est avant tout une épopée grandiose à hauteur d'homme : on assiste à la construction d'un ado naïf devenant adulte en dépit – ou à cause – des embûches se dressant sur son passage.
Un récit d'initiation cruel où un fils, renié par son père parce qu'il ose tenter sa chance sur le continent, se trouve d'un coup arraché à ses fragiles racines – pour un Wallisien ayant déjà migré en Nouvelle-Calédonie, partir vers la métropole revient à accomplir une sorte de "déplacement au carré". Sans jamais choir dans l'éthnofolklore, Wolff offre ici une visibilité cinématographique aux cultures océaniennes qui n'en ont guère eue : il faut presque remonter à L'Âme des guerrier (1995) de Lee Tamahori pour trouver dans une fiction le désir de faire partager les coutumes de ces peuples.
Un pack impec
Mais Mercenaire montre également la situation paradoxale de ces Français du bout du monde, traités parfois avec condescendance du fait de leur retenue et de leur haute stature et volontiers exploités par un milieu professionnel avide de performances et de résultats – même si le ballon est ici moins rond, les échos à Comme un lion (2013) de Samuel Collardey sont notables.
Wolff ne s'attache pas tant au terrain de sport qu'à ses à-côtés ; et s'il filme quelques moments de rencontres, c'est d'un point de vue très immersif (sans révéler ce qu'il se passe sous la mêlée, le secret demeure préservé). On découvre plutôt à quels montages acrobatiques doit se livrer un club pour conserver dans son effectif un joueur surnuméraire, le rétribuer, accroître sa masse musculaire... Qu'il semble loin, ce temps où le rugby était une discipline amateure !
À la rigueur de l'écriture et la réalisation dépourvue de complaisance, il faut enfin ajouter la qualité de l'interprétation, due à des comédiens non professionnels pour la majorité d'entre eux. Authentiques sportifs (comme Toki et "Paki"), ils explosent de présence à l'écran ; et cela, à l'inverse de mercenaires, n'a pas de prix.
Mercenaire
de Sacha Wolff (Fr., 1h44) avec Toki Pilioko, Iliana Zabeth, Mikaele Tuugahala, Laurent Pakihivatau...