Gilles Bastin : « Le journalisme comme contre-pouvoir peut disparaître »

Gilles Bastin : « Le journalisme comme contre-pouvoir peut disparaître »
Incroyable presse, une histoire mouvementée entre liberté et censure

Bibliothèque d'Étude et du Patrimoine

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Interview de Gilles Bastin / Alors qu'aura lieu cette semaine, dans le cadre de l'exposition "Incroyable presse !" de la Bibliothèque d'étude et du patrimoine, une conférence-débat avec plusieurs grands noms du journalisme, nous avons rencontré Gilles Bastin, codirecteur de l'École de journalisme de Grenoble qui a participé à l'élaboration deux des événements. Avec lui, nous avons parlé liberté d'expression, contre-pouvoir ou encore éducation aux médias.

Quel est le but de l'exposition Incroyable presse ? Redorer le blason d'un secteur de plus en plus contesté par le grand public ?

Gilles Bastin : L'origine de l'expo, c'est évidement Charlie Hebdo, avec cette idée que la presse d'opinion a violemment été attaquée. Ce traumatisme a convaincu le service municipal des bibliothèques de Grenoble qu'il fallait absolument retisser du lien entre la société et ses médias. Au-delà de l'attentat, il y a en effet un contexte de défiance qui dure depuis des années.

L'exposition, qui prend pour référence une période historique large (du XVIIe siècle à nos jours), apparaît comme un plaidoyer pour la liberté d'expression face aux différentes formes de censure...

Oui, et plus encore, il s'agit de montrer le rôle que joue la presse dans une démocratie. À savoir pas simplement garantir la liberté d'expression mais aussi avoir un rôle d'enquête, de contre-pouvoir...

On ne voulait pas faire juste une exposition qui soit pleine de bons sentiments sur le fait que les médias jouent un rôle positif dans la société. Je crois au contraire qu'il faut assumer qu'ils jouent souvent un rôle négatif, en étant dans la critique. Et on est dans un moment où nos sociétés acceptent de moins en moins le dissensus, le conflit...

C'est bien que dans l'expo soit donc mis en avant, avec de nombreux documents, le fait qu'il y a eu un combat depuis des siècles pour garantir la liberté aux journalistes et aux médias de critiquer le pouvoir, l'État, la religion, les marchés...

Où en est ce combat aujourd'hui ? Malgré le pessimisme ambiant et les attaques récurrentes, la presse ne va quand même pas mourir ?!

Il y aura toujours des médias mais le journalisme, lui, peut disparaître... En tout cas comme contre-pouvoir. On est dans un contexte très dangereux où le contrôle économique sur les médias se resserre et où la liberté dont jouissent les journalistes est de plus en plus entravée. Je rappelle qu'en France, on vit sous le régime de l'état d'urgence dans lequel la censure peut être restaurée. François Hollande a décidé de ne pas le faire, mais visiblement c'est passé à un cheveu – plusieurs médias se sont fait l'écho d'une discussion entre parlementaires pour savoir si, grosso modo, il fallait interdire BFMTV. Une idée complètement irresponsable.

Donc on ne peut rien exclure à mon avis du côté de la réapparition de formes de censure beaucoup plus agressives. Et cela à un moment où la profession de journaliste n'a jamais été aussi faible, en partie un peu de sa faute, parce qu'elle n'a pas su répondre à la demande du public pour une plus grande exigence déontologique, et en partie du fait que le modèle économique sur lequel elle s'est bâtie n'est plus là pour la financer. Donc l'idée de l'expo était aussi de faire prendre conscience que oui, cette histoire peut s'arrêter...

Comment faire pour ne pas qu'elle s'arrête ?

À mon avis, la clé, c'est la pédagogie et l'éducation. L'éducation aux médias est un champ dévasté, plus personne n'en fait. Les discussions entre le ministère de l'éducation nationale et les médias, c'est une caricature ! Ce que veulent les éditeurs, c'est simplement que l'on mette des tablettes dans les mains des gamins pour qu'ils puissent accéder à leurs contenus.

Alors qu'il faudrait juste que dans chaque collège il y ait des feutres, un tube de colle, une photocopieuse et quelqu'un qui apprenne aux gamins à faire un journal dans lequel ils puissent écrire qu'il est scandaleux que les toilettes soient fermées ou que le centre de documentation ne puisse pas accueillir plus de douze élèves à la fois.

Peu importe que ces jeunes deviennent plus tard journaliste ou lanceur d'alerte ou encore hacker ! Le tout, c'est que nous arrivions à maintenir vivantes les deux grandes vertus civiques sur lesquelles a été bâtie la presse : la recherche de la vérité par l'enquête et la capacité à faire comprendre, par le reportage, la vie des autres, ceux que nous ne voyons même plus parce que nous sommes enfermés dans nos réseaux sociaux.

Vous animerez un débat ce jeudi 26 janvier avec plusieurs invités, dont Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, ou encore Patrick de Saint-Exupéry, fondateur de la revue XXI et coauteur du manifeste Un autre journalisme est possible...

On a voulu faire venir des gens porteurs de projets éditoriaux originaux qui fonctionnent parce qu'ils ont fait le pari de l'intelligence du lectorat et de la qualité journalistique, que ce soit dans l'enquête ou dans le reportage.

On a aussi demandé à Antoine Laurent d'être là, du Fonds Google pour l'innovation numérique de la presse : un truc original qui, sur le fond, pose pourtant tout un tas de problèmes. Google a, d'une certaine façon, acheté la paix avec le gouvernement français et les groupes de presse en 2013 pour 60 millions d'euros investis dans des projets numériques. Il aura sûrement un point de vue iconoclaste sur le financement des médias.

Même si la rencontre n'est pas organisée dans le cadre de l'exposition, vous invitez aussi cette semaine à l'école de journalisme deux stars de la profession : Fabrice Lhomme et Gérard Davet du Monde, auteurs du fameux livre Un président ne devrait pas dire ça...

Oui, ils viendront présenter leur ouvrage aux étudiants de l'école comme au public, mais ils viendront surtout parler de l'enquête et de l'investigation journalistiques, comme le fera d'ailleurs Fabrice Arfi de Mediapart dans la première conférence-débat.

Ce sont des gens qu'il faut défendre parce qu'ils sont souvent menacés, que ça soit judiciairement ou politiquement. Il faut comprendre ce qu'ils font, comment ils le font, et essayer de faire en sorte qu'on ait de plus en plus de journalistes qui continuent de gratter là où ça fait mal, même si beaucoup de gens n'aiment pas ça.

On va les accuser d'être populistes, de faire le lit des extrémistes, de propager la défiance... On a trouvé ce même genre d'arguments chez Reagan dans les années 1980 quand il voulait solder l'épisode du Watergate : c'est absurde ! Il faut au contraire gratter le plus loin possible et si ça fait changer les choses, tant mieux !

Incroyable presse !
À la Bibliothèque d'étude et du patrimoine jusqu'au samedi 15 avril

Conférence-débat : l'avenir du journalisme
À la Bibliothèque d'étude et du patrimoine jeudi 26 janvier à 18h30

Rencontre avec Gérard Davet et Fabrice Lhomme
À l'Institut de la Communication et des Médias (Échirolles) lundi 30 janvier à 13h30
À la librairie Arthaud lundi 30 janvier à 17h

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