Humour / Une galerie de personnages savoureux, un humour bien noir et, surtout, un sens très théâtral du comique : Jean-Rémi Chaize, nouveau venu dans le grand et vaste monde de ceux qui aspirent à faire rire, nous a embarqués direct avec son premier seul-en-scène "On n'est pas des chiens". Discussion avant son passage par la Basse cour.
Encore un comédien au parcours classique (vous sortez d'une grande école de théâtre lyonnaise) qui se lance dans l'humour... Pourquoi ce choix ?
Jean-Rémi Chaize : Au départ, mon idée était plus de m'essayer au seul-en-scène que de me lancer dans l'humour. Je voulais me confronter au fait d'être un acteur seul sur scène. D'ailleurs, quand il a fallu écrire quelque chose, je n'ai pas forcément pensé à l'humour.
Sauf que le spectacle est aujourd'hui rangé dans la catégorie humour...
Oui, même si pour moi ce n'est pas que drôle. À la base, j'avais juste envie de jouer des personnages certes avec un petit potentiel comique, mais qui soient aussi tragiques ; un peu abimés, cabossés, pas forcément entre guillemets normaux. Du coup, ils en deviennent drôles malgré eux.
Car on rit beaucoup de la détresse de vos personnages, de leur mal-être, voire de leur inadaptation sociale...
Je me suis vite rendu compte que de parler de choses normales ne me paraissait pas très intéressant. J'avais vraiment envie de parler de la faille, de ces gens qui sont dans une espèce d'obscurité, de névrose. Pour moi, le terreau de l'écriture et de l'interprétation était là...
Par exemple, je voulais faire un présentateur télé. Quand je me suis mis à écrire un texte à ce personnage, tout de suite je suis parti dans quelque chose de trash. Pareil pour ma caissière, qui est compétemment hystérique et effrayante.
Vous employez le mot trash. On peut aussi dire que le spectacle va souvent du côté de la vulgarité, en l'assumant pleinement...
Dans le cas du présentateur, oui, c'est clairement délibéré et assumé. Même si paradoxalement, je trouve qu'avec tous ces mots vulgaires qu'il utilise, c'est tout sauf vulgaire. Parce que, justement, c'est la posture du présentateur, avec les codes du journalisme, qui lui permet de dire tout ce qu'il veut.
Mais on est aussi à la limite de la vulgarité dans plusieurs autres sketches, comme celui de la diva ou celui de la dépressive...
La vulgarité, c'est très personnel. Les mots sont une chose, la manière de les dire en est une autre. C'est ça qui fait plus de la vulgarité que les mots en eux-mêmes.
Après, je pense que les gens sont vulgaires, cette vulgarité-là existe de toute façon dans la vie de tous les jours. Mais je ne me suis pas dit que j'allais écrire quelque chose de vulgaire. Je n'avais juste pas envie de faire quelque chose de lisse, je voulais aller plus loin. J'aime bien l'idée de repousser les limites, d'être toujours à la frontière de tomber dedans.
Certains sketches brouillent vraiment les limites. Comme celui du maire, ou celui de la mère qui terrorise sa fille pour une raison tout à fait contestable. Là, on ne se sait plus trop de qui l'on rit – du personnage ou de sa victime ?
Mais moi non plus je ne le sais pas ! Ce que je sais, c'est que cette mère est un délice à interpréter : jouer un monstre, c'est juste génial ! Après, en effet, j'ai écrit ce sketch de la mère pour que ça dérange... Je mets le curseur sur quelque chose qui, à la base, existe, pour l'amplifier et l'exacerber au maximum sur scène, car le théâtre permet ça. Sinon, on fait juste la vie sur scène mais, pour moi, ça n'a aucun sens.
Sur scène, vous jouez beaucoup de femmes. Pourquoi ce choix ?
Ça c'est pareil, ça s'est un peu imposé à moi sans que je le "conscientise" vraiment. Quand on est un acteur homme, c'est assez passionnant de jouer des femmes parce que c'est ce qu'on n'est pas, la mise en distance est radicale. Et puis les femmes m'inspirent plus que les hommes. Peut-être que les fêlures sont plus féminines...
Et pourquoi avoir appelé le spectacle On n'est pas des chiens ?
En fait, le vrai titre, c'est le contraire ! C'est un peu "on est tous des chiens", comme dans Les Nouveaux sauvages [un film à sketches argentino-espagnol sorti en 2014 – NDLR] qui montre l'animalité de l'humain. Même si, bien sûr, je ne vais pas aussi loin que dans le film...
Dans le titre, j'aimais bien aussi l'idée du "on", de l'anonymat, avec des gens qui sont à un moment mis en lumière. Et puis le titre nous a aussi permis de faire une affiche sympa, on ne va pas se mentir !
On n'est pas des chiens
À la Basse cour, du 30 mars au 8 avril (jeudi, vendredi et samedi à 21h)
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Et le spectacle dans tout ça ?
Sur scène, Jean-Rémi Chaize, avec sa voix si particulière faisant de lui une sorte de Fanny Ardant au masculin, campe donc beaucoup de femmes : une grand-mère bien rance, une diva atroce, une dépressive au savoir-vivre limité... Des êtres qui font rire malgré eux, à l'insu de leur plein gré comme dirait l'autre. En découle un humour très noir qu'il laisse néanmoins respirer dans des moments plus légers (mais tout aussi forts), comme avec ce guide du Louvre polyglotte à l'extrême ou cette fin à la douce poésie. Drôle et touchant finalement.