Avec "La Planète des Singes : Suprématie", le réalisateur de "Cloverfield" Matt Reeves clôt la trilogie simiesque, toujours accompagné par l'indispensable Andy Serkis, qui prête ses traits au chimpanzé Cesar. Rencontre avec deux sacrés primates.
Qu'avez-vous souhaité explorer dans cet ultime volet de la trilogie ?
Matt Reeves : Je voulais montrer ce moment où le personnage de César risquait de perdre l'empathie émotionnelle qu'il éprouve autant pour les Hommes que pour les Singes – car il n'est ni tout à fait l'un, ni tout à fait l'autre –, et sur laquelle repose son héroïsme. Cela m'intéressait de mettre le spectateur pendant deux heures dans la peau de César, confronté à la guerre entre les humains, mais aussi à une lutte intérieure comme nous en connaissons tous.
Andy Serkis : J'ai beaucoup de chance d'avoir participé à une telle trilogie, qui a à la fois une âme, un sens, une vérité et un message politique. C'est incroyable d'avoir pu passer de l'enfance à la fin de vie, mais aussi de voir un personnage de leader trouvant sans cesse des solutions pacifiques découvrir le phénomène de la haine. Le faire passer à l'acte, voire tuer, était pour moi un formidable défi physique et psychologique.
Andy, bien qu'étant de tous les plans, vous n'êtes jamais jamais reconnaissable à l'écran. Que retrouvez-vous de vous en César ?
AS : Je me vois effectivement dans chaque plan, parce que je reconnais ma réplique, mon jeu face à mon partenaire, mais surtout mes choix d'acteur. Chaque expression correspond à la pensée qui l'accompagne pendant que je suis César. Grâce travail sur les effets spéciaux de Weta Digital, on voit les intentions des acteurs à un degré inimaginable, avec une fidélité vraiment palpable. C'est un équilibre tellement délicat : on veut que le jeu et la performance soient traduits dans une seule physionomie. Matt tenait beaucoup que l'écho du travail des acteurs apparaisse à l'écran.
MR : Pendant le montage chez Weta, j'avais toujours un écran avec l'image des acteurs. Si Andy jouait à la fois la colère et la tristesse, on cherchait avec les animateur à amener les deux éléments simultanément.
Est-ce que le désir de vengeance est le trait le plus humain de César ?
AS : Oui, et quelle extraordinaire contradiction ! On s'imaginerait que plus les chimpanzés deviennent civilisés, plus ils deviennent de meilleures créatures. Or c'est tout le contraire : ils évoluent vers un monde sombre et dur. Mais si vous étiez dans la peau de César et aviez subi la même perte familiale, seriez-vous capable de pardonner, ou iriez-vous jusqu'au bout de votre vengeance pour qu'elle soit assouvie ? Seriez-vous capable d'être rationnel ? C'est intéressant de mettre le public dans ce labyrinthe moral, et que le voyage de César soit aussi le sien.
MR : J'ai parlé avec beaucoup de spécialistes des primates. Pour eux, le sens de la vengeance n'est pas typique de l'animal ; au contraire, il a une grande capacité pour l'empathie. En revanche, parce que nous avons une nature avancée, notre espèce va souvent vers la forme la plus horrible de vengeance. Lorsque j'écrivais le scénario, j'étais frappé par l'idée que les êtres humains associent l'émotionnel à de la faiblesse. Alors que notre plus grande force, c'est notre empathie émotionnelle.
Le langage rend les Singes humains. Dans Suprématie, une petite fille (Nova) perd le langage, mais conserve pourtant son humanité...
MR : Les scènes les plus émotionnelles étaient celles sans paroles, en particulier celles où Maurice l'orang-outan rencontre Nova. Tout se passe à travers la présence et le regard. J'ai d'ailleurs demandé aux deux acteurs de regarder face caméra pour que le public les voie en gros plan et le ressente. Dans la scène où Nova vient voir César enfermé, ils n'échangent aucune parole, mais elle voit bien que César est désespéré, dans une tristesse absolue ; elle fait le seul geste qu'elle a appris qui indique « est-ce que tu as soif ? » et elle lui amène à boire. C'est à ce moment-là que César commence à gagner en empathie.
Dans Suprématie, le langage est réduit à sa stricte essence. Ce n'est pas le moyen de communication le plus important. D'ailleurs, dans Les Origines (2011), que je n'ai pas réalisé, il n'y avait que quatre mots : « No » et « Cesar is home ». Dans L'Affrontement (2014), où le langage commençait à devenir une indication d'évolution, au contraire, la communication est plus riche, même si elle est encore au niveau balbutiement. À cette époque, mon fils avait un an, et il disait « No » exactement de la même manière que César : une première forme d'intelligence est là et elle se verbalise.
AS : C'était très important que le langage reste crédible. Pour L'Affrontement par exemple, l'usage du langage reste primal, le rythme est guttural, saccadé : ce sont plutôt des expulsions de sons que des phrases. J'avais une gouttière comme les boxeurs. Ici, le personnage a évolué ; son langage est à présent davantage articulé et il peut à présent construire des phrases plus longues, transmettre à travers le langage des émotions, du sens. Et puis, c'était obligé qu'il parle mieux et plus vite : vu toutes les scènes avec le Colonel, le film aurait duré des plombes (rires) !