Littérature / rencontre / À la (fausse) remorque du récit du tournage quelque peu ubuesque d'un film adapté de son œuvre et d'un portrait de son éditeur chinois, l'écrivain belge Jean-Philippe Toussaint livre, avec "Made in China", une réflexion aussi drôle et émouvante que stimulante sur la soumission du créateur au hasard et à l'œuvre elle-même. Il viendra en parler mercredi 22 novembre à la librairie le Square.
Mener un projet à terme alors que l'on agit dans des conditions que l'on n'a pas choisies, voilà, nous explique Jean-Philippe Toussaint dans son dernier livre Made in China, une conception plutôt chinoise des choses. Ainsi, « il est impossible d'entrer dans la pensée des Arts de la Guerre de la Chine si on ne prend pas en compte le fait que le général ne se fixe pas d'objectif particulier, et même à proprement parler n'a pas de visée, mais évolue en exploitant continûment à son profit le "potentiel de situation" qu'il a su détecter. »
« Je voyais, poursuit Toussaint, dans cette réflexion, une parfaite illustration de l'état d'esprit dans lequel j'arrivais en Chine pour tourner The Honey Dress. Il m'importait moins de mener à bien (...) un film idéal, qui aurait en quelque sorte préexisté dans mon esprit à sa réalisation que de rester disponible et de me mettre en adéquation avec la situation que j'allais trouver. » L'auteur, qui lors de ses fréquents voyages en Chine a l'habitude de se laisser balloter comme un enfant par son éditeur chinois Chen Tong, ne croit pas si bien dire. Car c'est ici doublement vrai.
Au hasard Jean-Philippe
Croyant écrire un livre rendant compte, au rythme d'irrésistibles péripéties, du tournage du film précité (adaptation du prologue de son roman Nue, dernier volet de son cycle de Marie), mais aussi un portrait de l'inénarrable Chen Tong, Jean-Philippe Toussaint s'aperçoit, ou peut-être le feint-il, en écrivant que son véritable sujet est « la disponibilité au hasard que requiert toute création artistique ». Et la nécessité d'accueillir les hasards comme multiples chemins borgésiens (on apprend incidemment, vérité ou pas, que Chen Tong tient à Guang-Zhou la librairie Borges) vers la fatalité de l'œuvre finalisée.
Le romancier belge tisse ainsi, non sans malice et avec un sens du récit d'une grande finesse, trois livres en un, multipliant les interactions entre le passé et le présent, et abolissant les frontières entre la fiction et la réalité de l'œuvre en train de s'écrire. Comme s'il ne s'agissait pas tant pour l'auteur de se regarder et se théoriser dans l'exercice d'écriture d'une fiction que pour la fiction elle-même de lorgner par dessus son épaule, prête à l'interrompre pour influer sur son propre cours. Moment où l'auteur lui-même devient, dans un mouvement métaleptique, le personnage presque impuissant du roman qu'il est en train d'écrire. Et en accepte l'augure avec bonheur.
Jean-Philippe Toussaint
À la librairie le Square mercredi 22 novembre à 18h30