Remarqué à Beaune, où il a décroché le Grand Prix du festival international du film policier, "Une pluie sans fin" marque larrivée éclaboussante dun nouveau talent sur la scène cinématographique chinoise. Rencontre avec lélégant Dong Yue.
Pourquoi avoir situé votre film juste avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine ? Y avait-il une symbolique particulière?
Dong Yue : Si jai positionné mon film en 1997, ce nest pas seulement à cause de cela, mais parce qu'il sest passé de très nombreux événements socio-politiques en Chine cette année-là, et la rétrocession de Hong Kong en fait partie.
1997 a marqué la fin de la décennie pour moi, ce nest pas lan 2000 qui a annoncé une nouvelle ère mais lannée 1997. À partir de 1997, lautorité chinoise a commencé à mettre en place de multiples réformes économiques et sociales ; de très nombreuses entreprises publiques ont commencé à licencier en masse des ouvriers. De nouvelles classes un peu délaissées, laissées pour compte et pauvres, sont alors nées dans la société chinoise.
En 1997, jétais encore étudiant à Pékin, et de mes yeux détudiant, jai constaté des changements assez brutaux dans la société chinoise : je ne reconnaissais plus la société dans laquelle je vivais, je travaillais et je faisais des études.
Le film nous présente lhistoire de la poursuite dun criminel. En fait, à travers cette poursuite, jessaie de montrer au public la société sous ses différentes facettes. Et aussi, je porte mon attention sur cette classe sociale qui vivait ce changement avec beaucoup de difficultés.
On sent chez vous une sorte de fascination pour lunivers industriel, y compris dans sa composante délabrée, rouillée... Y a-t-il du plaisir à filmer cette beauté cabossée et submergée par la pluie ?
Lorsque je fais naître un film, mon premier objectif, cest la beauté. Que le film soit beau à voir. Ensuite, en fonction du scénario et de tout ce que ce film porte, jessaie de trouver un juste milieu entre la beauté et son sens véritable.
Comment avez-vous choisi les lieux de tournage ?
Au début, je voulais tourner dans la grande région nord-est chinoise : cest la première région chinoise où lindustrie lourde sest développée dès les années 1910 jusquaux années 1990. Mais il y a déjà eu plusieurs films chinois tournés là-bas. Du coup, pour éviter de présenter au public les mêmes scènes et les mêmes paysages, nous avons décidé avec le producteur daller voir dans le sud, rarement exploité.
Nous sommes allés dans la province du Yunnan, dans une ville quasi-inconnue pour les Chinois. Dès notre arrivés dans cette zone industrielle, jai tout de suite été attiré par le paysage un peu vétuste, un peu rouillé. Cétait en été, on a pris des photos, on a tourné, et ensuite les locaux nous ont dit quil faisait très humide en hiver et quil pleuvait beaucoup. Ça a confirmé mon choix.
Une pluie sans fin est éminemment réaliste. Pour autant certains lieux comme le dancing où lon entend la version chinoise de Summer kisses dégagent une ambiance onirique, décalée
Vous avez raison : ce sont des chansons assez nostalgiques pour les Chinois, pour le public chinois. Peut-être avez-vous reconnu des mélodies un peu européennes : ces chansons sont dabord arrivées à Hong Kong, et ensuite ont été introduites par les Hong-kongais à lintérieur de la Chine.
On écoutait et on chantait et on dansait sur la version chinoise des mêmes mélodies, et à lépoque, cétait un bonheur. Les gens navaient pas beaucoup de choix dans les chansons, ils les écoutaient régulièrement.
Les femmes sont ici victimes dun tueur. Mais dans ce film sombre, il en est une lumineuse qui apporte de la lumière
En tant que réalisateur, jaurais préféré que lactrice principale, la jeune Chinoise, ne soit pas si radieuse, jolie, positive, dynamique. Jaurais aimé quelle soit réaliste, comme une jeune Chinoise de lépoque. Cest dommage.
Mais en même temps, je comprends que lactrice, qui est jeune, narrive pas à comprendre ce qui sest passé il y a 20 ou 30 ans. Le public voit, en comparaison avec dautres actrices, quelle porte plutôt quelque chose de positif.
Le film commence par une identité qui est dévoilée et se termine par une identité qui est masquée. Le document didentité la carte didentité apparaît à plusieurs reprises. Pourquoi cette insistance ?
Létat civil dun individu dans la société chinoise, cest primordial : comment il sappelle, où il habite, dans quelle entreprise il travaille, quel est son statut social... Donc jessaie de montrer, du début jusquà la fin, cet élément qui est anodin pour un public européen. Pour les Chinois, la carte didentité est très importante : elle représente la personne physique dans la société.
Je me retrouve dans cette histoire détat civil, parce que je suis dune famille ouvrière : mes parents travaillaient dans des entreprises dÉtat, publiques, et depuis mon enfance, jentendais les adultes parler des amis, des proches, des membres de la famille demander si telle personne travaillait dans une entreprise collective ou détat ; si tel proche était un paysan, un ouvrier et encore au sein des ouvriers, il y a des échelons, des cadres qui se sentaient à lépoque supérieurs, davantage encore sils étaient dans un entreprise dÉtat. Donc létat civil, la carte didentité, cest un petit objet qui pilote quasiment toutes les relations sociales des individus en Chine. Et le statut social forme, construit la psychologie sociale de chaque individu.
Comment avez-vous fait pour que les deux époques du film, 1997 et 2008, à la fois proches et éloignées, soient crédibles à lécran étant donné que les décors ont beaucoup changé ?
Oui, vous avez raison de remarquer cette différence. Nous navons pas beaucoup cherché à différencier les deux époques. En fait, tout simplement, les scènes de lépoque contemporaine (2008) ont été tournées souvent pas beau temps : il y avait du soleil, et dailleurs on avait attendu le beau temps pour tourner certaines scènes. Tout le reste, 1997, cest la pluie, cest le ciel couvert, gris cest la différence visible.
Lannée 2008, par rapport à lannée 1997, cest la nouvelle Chine, cest une nouvelle époque qui commence. Cest lépoque où la Chine, les colonies chinoises, vont tourner à plein régime. Le pays, comme un train, comme un TGV qui roule très vite, qui fonce. On voit le soleil, on voit le ciel bleu, on voit les nuages blancs Je voulais faire comprendre que après le beau temps, cest lorage : même après 2008, il y a de nouvelles problématiques sociales qui attendent le pays et les gens. On ne le voit pas dans le film.
Les véhicules tombant en panne participent, justement, de cette société qui parfois sarrête avant de repartir ?
Pour la scène de lautocar qui cale, votre remarque est juste, mais pas seulement. Nous avons voulu aussi faire passer un message : lorsque nous avons sélectionné les acteurs devant jouer les passagers de lautocar, nous avons fait attention de choisir des gens nés dans les années 1950-1960. Tous les passagers de lautocar représentent cette génération ; un autocar qui cale, qui a du mal à démarrer, qui sarrête et dont le chauffeur se plaint quil se fait chier. En fait, le chauffeur comme les passagers se trouvent dans une situation très embarrassante. Il navance plus, comme cette génération de Chinois, un peu abandonnés par la société malgré eux, ou bien complètement dépassés.
Jéprouve un sentiment particulier pour cette génération. Même si le chemin est très, très, très long, elle a encore beaucoup de chemin à parcourir. Tant que lon avance, ce nest pas grave. Ce qui est dommage et embrassant pour eux, cest quils ne prennent pas le volant, ils ne savent pas où aller et ne savent pas comment redémarrer.
Le polar et la pluie se marient toujours très bien au cinéma. Aviez-vous des références cinématographiques issues du cinéma occidental ou asiatique Black rain, Seven ou dautres films ?
Seven, oui, mais aussi un autre film espagnol, La Isla Minima. Jai beaucoup aimé ces deux films, leur style à la fois artistique et réaliste. Ils ont trouvé la bonne dose. Ça ma beaucoup inspiré.
Votre film porte-t-il le même titre en chinois?
Le titre chinois est Bàoxuě jiāng zhì. Il peut se traduire par "la tempête de neige va arriver". Dans le film les, haut-parleurs et lautoradio annoncent régulièrement : « il y aura une chute de température parce que il y a une tempête de neige qui va arriver » En réalité, la tempête de neige nest pas arrivée en 1997 mais en 2008.
La plupart des réalisateurs redoutent la pluie sur un tournage. Mais vous, redoutiez-vous le soleil ?
Initialement, nous voulions tourner en saison de pluie, cest-à dire en plein hiver. Mais pour toutes sortes de raisons, nous avons tourné une petite partie en saison de pluie, et la plupart des scènes 90% sont en pluie artificielles. Le ciel était couvert de nuages très sombres, mais en réalité il ne pleuvait pas