Le feu sacré

Musique / Avec un deuxième album éblouissant, et un concert complet aux Nuits de Fourvière, Arcade Fire va enfin pouvoir prouver aux Lyonnais qu'il est un des meilleurs groupes de rock d'aujourd'hui. Christophe Chabert


À quoi reconnaît-on un grand groupe de rock ? À ses chiffres de vente ? À l'affluence lors de ses concerts et à la longueur des applaudissements qui les concluent ? Aux éloges que lui dresse la presse ? Si ces indicateurs signalent que l'affaire mérite attention (surtout quand ils sont tous réunis), il y en a un, bien plus fiable, qui fait la différence. C'est la capacité à devenir une référence, à entrer au panthéon des groupes que l'on cite en exemple et à qui l'on compare tous les autres. Quand Arcade Fire a sorti son premier album, Funeral, le bouche-à-oreille Internet évoquait quelque chose entre David Bowie et Radiohead, agrémenté d'une dose de ce nouveau rock canadien dont les chefs de file restaient les énigmatiques Godspeed you black emperor. Deux ans plus tard, au moment où sort leur deuxième album Neon Bible, David Bowie les rejoint sur scène le temps d'une reprise, Radiohead doit écumer dans son studio de ne pouvoir rivaliser avec si belle concurrence, et les vrais chefs de file du nouveau rock canadien, c'est eux ! Enfin, il nous arrive, à l'écoute de tel nouveau groupe venu de nulle part, de glisser discrètement : «On dirait du Arcade Fire...».Six pieds sous terreComment ont-ils si vite et si bien redéfini l'espace musical à leur propre dimension ? Avant tout, en sortant leurs tripes. C'est ce qui frappe en écoutant Arcade Fire : l'urgence presque existentielle qu'ils mettent à interpréter les chansons, à déployer un arsenal instrumental considérable mais pas pour faire de l'épate ; pour faire bouillir le chaudron et y récupérer une matière musicale en fusion. Win Butler et Régine Chassagne, couple à la ville et véritable noyau de ce groupe à la chimie mouvante et en permanente expansion, n'y vont pas par quatre chemins : une bonne chanson, c'est une énergie pure, directe, authentique, et c'est ce qui fait exploser le moule couplet-refrain qu'Arcade Fire prend pourtant soin de toujours respecter. En cela, à l'inverse des expérimentations radicales de la scène cana-dienne post-rock, Arcade Fire a fomenté une révolution musi-cale douce, mais une révolution durable. Ne négligeant aucune orchestration, aucun ornement (chœurs, cuivres, cordes, jusqu'à l'accordéon !), le groupe s'autorise ces débordements par pure générosité, à l'image de leurs concerts spectaculaires où ils n'hésitent pas à descendre de scène pour terminer leurs morceaux au milieu du public. Le feu d'artifice que représentait Funeral ne pouvait que produire quelques poussières étoilées derrière lui : un mini-album avec quelques morceaux de bravoure, un disque signé Bell Orchestre qui pouvait être entendu comme la version calme et instrumentale de leurs chansons agitées, une collaboration musicale à l'ultime saison de la série funeste et déchirante Six feet under... Et l'auditeur d'attendre, religieusement, un nouvel album.Intervention divineAvant de louer les fulgurances de ce deuxième opus, il est bon de revenir sur la genèse de Funeral : disque de deuil, Butler et Chassagne l'ont composé pendant une année marquée par le décès de nombreux proches. «Une année sans lumière», comme le disait (en Français !) un des plus beaux morceaux de l'album... Si les textes d'Arcade Fire ne sont pas toujours évidents à suivre dans leurs méandres sémantiques, le groupe ayant l'allégorie facile, on pouvait facilement percevoir dans Funeral cette omniprésence de la mort et d'un passé douloureux dont on cherche à tourner la page. Or, deux ans plus tard, Arcade Fire a élu domicile dans... une église ! Rachetée avec les royalties du premier album puis retapée pour devenir un véritable studio d'enregistrement d'où sortiront, loin des impératifs du music business, les 11 chansons de Neon Bible. La «bible de néon», référence à un bouquin de John Kennedy Toole (auteur culte et suicidé à 32 ans), c'est celle qu'écrit le groupe, hors des dogmes religieux et de la superficialité pop... Ce sont bien les Cieux que vise dorénavant Arcade Fire : No cars go, chanson découverte sur leur mini-album et réenregistrée ici, parle de cet endroit où «aucun avion, aucun navire ne peut aller» mais que seule une «navette spatiale peut atteindre». Car sur terre, nous sommes comme prisonniers d'un cauchemardesque «miroir noir», océan nocturne qui reflète une «malédiction jamais brisée» (Black mirror). Pour y échapper, il faut sortir de son corps, «cage» dont seul «l'âme possède la clé» (My body is a cage). Il faut préciser que ce catéchisme délicieusement ésotérique est porté par une luxuriance musicale de tous les instants, qui explose dans ce qui est sans conteste le chef-d'œuvre du groupe à ce jour, le divin Intervention. On trouve sur ce titre une autre piste pour s'orienter dans le passionnant dédale inventé par Arcade Fire : les paroles y évoquent sans détour ces soldats qui s'engagent au nom de Dieu pour nourrir leur famille et n'en reviennent jamais. Et plus tard, dans ce génial hommage à Bruce Springsteen qu'est Antichrist television blues, Butler affirme, mi-messianique, mi-ironique, qu'il ne veut plus travailler dans ces buildings où les avions s'écrasent deux par deux. Comme si, depuis leur église de Montréal, Arcade Fire nous envoyait un nouveau testament sur un monde en plein chaos, en ­attendant d'aller, tels des chanteurs de gospel, le psalmodier sur les scènes du monde entier. Devançons l'appel et clamons-le haut et fort : Arcade Fire arrive... Alleluiah !Arcade Firele mercredi 18 juillet, aux Nuits de Fourvière (Lyon) - COMPLET«Neon Bible» (Barclay)


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