Freire de cœur

L'enfant prodige de Boa Esperanza devenu le pianiste d'excellence, l'interprète rigoureux et fantaisiste de la musique romantique, le fougueux Nelson Freire JOUERA À la MC2 un programme varié, parcourant les siècles. Séverine Delrieu


Nelson Freire est connu pour : se produire sur les plus grandes scènes internationales (vraiment, il a dû faire des dizaines de fois le tour de la planète). Avoir un duo mythique avec sa compatriote et “collègue” Martha Argerich (aussi libre, surdouée, fantasque, riguoureuse, allergique aux projets et née à peu près la même année que lui). Ce duo, totalement complémentaire et homogène, a, au fil de ses 30 années d'existence, évolué vers une maturité musicale rarissime. Connu, aussi pour aimer passionnément et exceller dans l'interprétation (la sienne est très personnelle) de la musique romantique. Mais, là, nuance, Nelson Freire, aime toutes les musiques, «puisque les romantiques aiment beaucoup de choses», dira t-il dans l'une de ses rares interviews. Avec le programme élaboré pour le récital à la MC2, preuve en sera faite. D'une sobriété bienvenue pour débuter, les transcriptions du compositeur Busoni de deux Chorals de Bach, resonneront avec douceur sous les doigts du pianiste. Puis, Freire étirera les larges phrases de la Sonate N°21 “Waldstein” de Beethoven, et fera entendre son chant romantique. Il livrera ensuite les pages amples et harmonieuses des Prélude, Choral et Fugue de César Franck, avant de passer à Children's Corner de Debussy, un pièce aux couleurs et réminiscences enfantines qui nécessitent une technique pas enfantine du tout. Enfin, il achévera ce programme varié avec la 12e Rhapsodie Hongroise de Liszt. Souvenirs rÉcents Freire est reconnu pour ses pléthoriques récitals d'exception. Ses enregistrements (lives). Et ses concerts avec orchestre, souvent marquants. On ne pourrait tous les citer, mais remémorons-nous de récents bons souvenirs. Il y a un an, il embrasait les oreilles du public de Leipzig au côté du Gewandhaus de Leipzig dirigé par Riccardo Chailly lors de son interprétation du Concerto N°1 de Brahms (dont le chef et le pianiste firent un magnifique enregistrement). Avec le chef italien, une complicité forte est d'ailleurs née en 2000, lorsqu'ils jouèrent les 2e concertos de Rachmaninov, Chopin, et Brahms. Compositeur qu'il vénère tout particulièrement. Comme d'autres “dits” romantiques d'ailleurs. Frédéric Chopin, par exemple, dont il enregistre la Sonate N°2, Les Études et Barcarolle. Un disque qu'il habite d'une manière extraordinaire : maîtrise technique et musicale, procure une dimension fabuleuse à des œuvres pourtant très jouées. Pour Schumann, qu'il découvre enfant grâce à la pianiste brésilienne Guiomar Novaes, Freire nourrit une passion jamais démentie. En 2003, il enregistre du compositeur allemand Carnaval, Papillons, Kinderszenen, Arabeske : une lecture fluide, juvénile s'en échappe. L'interprétation limpide, voire évanescente sans être superficielle de ces pages de musique pourtant connues, nous embarque dans un lyrisme virtuose mais retenu. Outre sa complicité avec Chailly, Freire eut une remarquable connivence artistique avec le chef Rudolph Kempe (avec lequel il enregistra son premier disque et fit de nombreuses tournées aux USA, Allemagne au côté du Royal Philarmonic Orchestra). Il fut, et est, par ailleurs, toujours très demandé par d'autres grands chefs, dont Pierre Boulez, Valery Gergiev, Kurt Mazur et Seiji Ozawa... et citons que Freire au cours de sa carrière étonnante, se produisit avec des formations et orchestres prestigieux tels que le Philharmonique de Berlin, Orchestre du Concertgebouw, Orchestre de Paris... Le Mozart des touches Libre, curieux, drôle, ouvert, humble, secret, à plus de soixante ans, voilà comment l'homme Nelson Freire est resté. Toujours aussi fougueux, amoureux (de la vie et de la rêverie) qu'à ses “débuts”, en 59 ; date à laquelle la carrière internationale du jeune prodige de 12 ans s'enclenche. Un peu plus de dix ans avant, en 1947, le petit bonhomme de trois ans, écoute sa grande sœur jouer quelques morceaux au piano. Le petit frère les mémorise, et les joue naturellement. L'enfant prodige de Boa Esperanza devra s'exiler à Rio en quête d'un professeur à la hauteur de ses super compétences. Ses professeurs seront Nise Obino et Lucia Branco (une ancienne élève de Franz Liszt). À 5 ans, il donne son premier récital : il joue La Sonate en la majeur de Mozart. À 12 ans, il est le plus jeune finaliste au Concours International de Rio de Janeiro. Il sidérera le jury composé de Guiomar Novaes, Lili Kraus en interprétant le Concerto N°5 “L'Empereur” de Beethoven. Un exil plus lointain s'impose alors, afin de lui permettre une formation pianistique adaptée : Freire s'envole pour Vienne. Très vite, les prix et récompenses pleuvent. En 64, (il souffle à peine 20 bougies), il reçoit le Premier Prix du Concours international “Vianna da Motta” à Lisbonne, et d'autres. Les concerts, récitals sont déjà son quotidien. À Boa Esperanza, on peut se perdre dans la rue Nelson Freire ; un brésilien un peu particulier ce M. Freire, puisque il déclare n‘aimer «ni le foot, ni le carnaval», (serait-ce aussi pour cela qu'on l'aime autant ?). Nelson Freire le 19 janvier à la MC2


<< article précédent
Autopsie d’une absente