Orient depressed

Lecture/ Pour la reprise de leurs lectures, Troisième Bureau a choisi Une Nuit arabe de Roland Schimmelpfennig : un texte À l'écriture déroutante servant une histoire ancrée dans le quotidien d'une cité où les personnages s'échappent dans un Orient fantasmé. Séverine Delrieu


Une Nuit Arabe, est certes un texte théâtral. Néanmois, les mots de cette pièce du dramaturge allemand - très joué en son pays - donnent plus à voir. On y voit un immeuble d'une cité européenne, uniformisée, morne, où se croisent habitants occidentaux et arabes aux vies répétitives. Vanina Derval colocataire de la libanaise Fatima Mansour s'endort avant la nuit et ne se souvient jamais de ce qu'elle a fait la journée ; Khalil qui aime Fatima va la rejoindre sur sa mobylette comme chaque soir et n'a jamais rencontré Vanina qui dort toujours ; Pierre Karpati lorgne sur Vanina de sa fenêtre. Et voilà que le déreglement s'opère par l'absence d'eau à partir du huitième étage, - raréfication d'eau que le concièrge Lemonnier tente de comprendre - faisant glisser le quotidien des cinq personnages vers un ailleurs, définitivement bouleversé par le rêve de Vanina. Les cinq solitudes sont happées dans un cauchemar, sorte de conte oriental mêlé d'éléments de contes occidentaux et d'emprunts aux traditions des deux cultures. Il est question d'Istanbul, du désert, d'un sheik, d'une jeune femme blonde dans son harem, d'un sort jeté par une épouse jalouse, d'un rétrécissement et d'un enfermement pas très merveilleux, d'un dépucelage, d'un décapitage, de baisers mortels, de femmes métamorphosées en louves assoiffées de sensualité.Alice au pays des Mille et une NuitAutant d'épisodes à la fois vaudevillesques et tragiques, dans lesquels les cinq personnages trouvent leurs rôles. Envoûtant, étrange ce grand film occidentalo-oriental, car il exprime les projections des occidentaux sur l'Orient et de l'Orient sur la culture occidentale ; il exprime surtout les frustrations des personnages de cette cité confinée : sortir de l'oubli, exprimer un passé refoulé, et se rapprocher les uns des autres, - dussent-ils en passer par les limbes de l'alcool, les fantasmes assouvis et les tabous transgressés. Le texte avançe alors sur ce fil nerveux de la réalité bricolée d'irréalité. Cette sensation est d'ailleurs accentuée par la quasi absence de dialogues. Tout passe par le regard et la description froide - presque comme dans un synopsis - de ce qui est vu et acté. Cela crée une écriture lente, même si le mouvement y est constant : chaque personnage est coincé dans un parcours qu'il décrit, - comme prisonnier derrière une frontière infranchissable. L'enfermement est amplifié par leurs 5 monologues intérieurs. Pourtant, progressivement les phrases, situations font échos entres elles comme s'ils se parlaient enfin, malgré eux. Car au fond, Une Nuit Arabe, parle de la complexité de la rencontre avec l'autre, exilé ou pas. Troisième Bureau a d'ailleurs choisi de rapprocher les dramaturgies contemporaines ayant des liens avec le thème de l'exil, lors de l'édition 2007 de Regards Croisés. En attendant, on vous conseille vivement la découverte de Une Nuit Arabe lors cette première lecture.Lecture de Une Nuit arabe le 11 décembre à 20h au Café-restaurant La Frise


<< article précédent
Pianissimo