Avida

Critique / Tourné dans le même état d'urgence que leur premier long, Avida impose Benoît Delépine et Gustave Kervern comme des créateurs à part dans le morne paysage cinématographique français. François Cau


La liaison avec Aaltra se fait bien évidemment au niveau esthétique : un noir et blanc recelant mille trouvailles visuelles, offrant au regard ses vastes étendues et ses décors en forme de monochromes oppressants ; des plans faisant l'économie du mouvement pour mieux en multiplier les effets signifiants ; des acteurs livrant des performances hallucinantes, où les flows de parole apparaissent incongrus au beau milieu du mutisme généralisé (notons au passage l'extraordinaire travail sur l'atmosphère sonore). Mais si le premier long métrage du duo Delépine / Kervern suivait le fil narratif du parcours de ses hurluberlus en fauteuils roulants, le récit prend ici de nombreuses libertés qui ne manqueront pas de rebuter les plus cartésiens. Le film se laisse contaminer dès ses prémices par une science contenue de la digression et des ellipses flagrantes, avec pour lien principal le flot de ses influences, citées sans ambages par les deux metteurs en scène. Le prologue voit ainsi un Fernando Arrabal grimé en torero, adressant une ultime supplique au spectre de Roland Topor, puis “poliment“ invité par Delépine à accélérer l'acte suicidaire qui le rapprochera de son défunt camarade. Introduction des plus cocasses, montée en parallèle avec des inserts de la bouche voluptueuse de l'héroïne éponyme ; l'intrigue embraie sur l'évasion involontaire d'un Kervern limite sociopathe, amené à errer jusqu'à ce qu'il trouve naturellement sa place dans un zoo…La ballade des chiens andalousAvida prend le parti risqué d'enchaîner les saynètes selon une structure faussement décousue. Miracle de la mise en scène comme de la direction d'acteurs, la succession de vignettes tourne à la mise en abîme intelligemment chorégraphiée. La jubilation d'assister à un défilé d'invités prestigieux reste intacte, mais ne se circonscrit pas pour autant au simple clin d'œil. Avida dispense ses séquences délicieusement absurdes au compte-goutte, inscrit leur humour dans une veine désabusée s'autorisant tous les écarts. Les gags y sont monstrueux, mais le surréalisme de l'ensemble leur donne l'air de respirations nécessaires au ton profondément pessimiste du film. On sait le goût des deux auteurs pour les marginaux, ils le confirment ici en développant cette tendresse désespérée qui sous-tendait déjà Aaltra. Les trois freaks au cœur de l'intrigue, bien que leur animalité soit soulignée à tour de bras, touchent dans leur désir d'accéder à une forme d'humanité. Leurs quêtes et leurs issues ne peuvent qu'inspirer l'empathie, sans que cela ne confine au risible. Son utopie humaniste, tapie dans l'ombre des incongruités sordides de son univers, donne au film une force et un charme insoupçonnés.


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