The Saddest Music in the World

Du fin fond de son Winnipeg natal, le Canadien Guy Maddin poursuit ses extrapolations artistiques en dehors de toute tendance, et nous offre un conte musical unique, somptueux poème mélancolique à la gloire de ceux qui ont tout perdu. Dorotée Aznar & FC


Petit rappel. Guy Maddin est un (discret) cinéaste Canadien, fièrement hors du temps, fasciné par le cinéma en noir et blanc, et en particulier par ses digressions expressionnistes. Son œuvre est un patchwork esthétique, où se mêlent travail acharné sur la couleur (Careful), hypnotisme du mouvement rendu à son expression première (Dracula, pages tirées du journal d'une vierge), ou détournement d'icônes en tout genre (The Heart of the World). Pour sa première “grosse“ production (on retrouve Atom Egoyan au générique), le cinéaste nous livre une sorte de digest de son cinéma, de ses obsessions filmiques, avec ce credo légèrement biaisé : ce que les fans perdent en originalité, ils le gagnent en rythme. L'histoire se déroule en 1933 à Winnipeg, dans le fin fond du Canada, au cœur de la Grande Dépression. Sentant la fin de la Prohibition proche, Lady Port-Huntly (magnifique Isabella Rossellini), baronne locale de la bière, ancienne femme superbe et convoitée qui a perdu ses jambes dans un “accident”, lance le concours de la musique la plus triste du monde. La belle (ou ce qu'il en reste) part d'un constat simple : plus les gens sont malheureux et plus ils boivent. Avec 25 000 dollars à la clé, un battle de musique totalement halluciné draine les foules vers cet improbable lieu. sublime mélodieLes pays s'affrontent, les gagnants plongent dans des piscines de bière tandis que les américains, privés d'alcool, suivent en direct le concours à la radio. Guy Maddin n'oublie rien ni personne, de la vieille femme-sorcière effrayante détentrice de la vérité, au mélange de noir et blanc et de couleur ; il est un magicien surpris en pleine invention de conte de fées pour les grands : des méchants, des gentils, des jambes de verre, un juste retour des choses à la fin avec bien sûr la réalisation de la prophétie. L'ambiance surréaliste qui règne, de la première image embrumée à la scène finale, est portée par l'omniprésence de la musique. Guy Maddin se nourrit de handicaps et d'insolite pour régurgiter un cinéma inattendu, drôle, impossible à dater et tout bonnement sidérant. Les aficionados auront le plaisir de retrouver les grandes questions sur le souvenir, les imbroglios familiaux, les dérives sexuelles, la quête du passé et le personnage amnésique (accessoirement nymphomane). Présenté au dernier Festival de Venise, The Saddest Music in the World est le 7e long-métrage du réalisateur, porté par la volonté de s'ouvrir à un plus large public. Les désirs de Guy Maddin sont des ordres, et il serait bien dommage de s'en priver.The Saddest Music in the Worldde Guy Maddin (Canada, 1h39) avec Isabella Rosselini, Mark McKinney...


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