Purgatoires

Danse / La nouvelle création de la compagnie Encorps à venir, Lilith… Eve, transforme la scène du Théâtre de Création en Éden superbement cauchemardesque, où deux représentations complémentaires de la féminité s'entrechoquent avec bonheur. François Cau


La compagnie et sa chorégraphe / interprète Adéli Motchan ne dérogent pas aux principes qu'elles se sont fixées. Soit une réappropriation scénographique des lieux de représentation (le défunt Chapitonom des 400 Couverts, la Bastille, le CCSTI, puis le Théâtre de Création), et une exploration de la danse Butô, de ses assises contestataires comme de ses résonances avec ses esthétiques expressionnistes et littéraires. Le propos de Lilith… Eve tourne autour de la transposition scénique de deux figures de la féminité, l'une lumineuse, l'autre plus sombre, sans qu'un quelconque manichéisme ne vienne s'immiscer pour autant dans la lecture du spectacle. Au contraire, les pistes sont délibérément brouillées, les émotions suscitées s'affranchissent des notions de bien et de mal, voguent dans un entredeux déstabilisant. Les deux épouses supputées de l'Adam originel s'y dévoilent dans leurs ambiguïtés, certes, mais avant tout dans l'expression affirmée de leur identité. Elles sont frêles, inquiétantes, sensuelles, et font finalement la nique à leurs acceptions religieuses tronquées.Histoires de fantômes
Vous l'aurez deviné, on est sorti de la répétition conquis, les trois tableaux présentés nous donnant une furieuse envie de découvrir la suite. Pourtant, les obstacles à la bonne appréhension du spectacle furent légion. Le musicien initialement prévu, sous le poids des séquelles d'un accident de voiture, a dû se faire remplacer au dernier moment. La troupe est dans un état de nervosité certain. Des incidents techniques font stopper abruptement la bande-son et durer plus que de raison un effet scénique. Mais en dépit de tous ses facteurs, l'immersion est totale. Grâce à une scénographie magnifiquement pensée, à une atmosphère sonore viscérale, et surtout, grâce à la présence stupéfiante d'Adéli Motchan, interprète incandescente des créatures diaphanes qui nous sont livrées en pâture.
Cette dernière n'aura de cesse de nous faire voyager dans des états équivoques, d'astreindre son corps, de ne jamais le faire ployer sous les contraintes imposées. Dès les premières secondes, le spectateur plonge dans un inconnu retors. Plongés dans le noir, des gémissements érotiques nous troublent avant que l'interprète ne se dévoile, dissimulée derrière un voile feutré.
Cette première incarnation se fait spectrale, convoque par sa puissance d'évocation les films horrifiques nippons, de Masaki Kobayashi à Hideo Nakata. Le voile se lève, le second personnage nous apparaît dans une sublime fragilité, avant de céder la place à son pendant sombre. La répétition s'achève, mais ses visions vont nous hanter pendant un bon moment.
Lilith… Eve, au Théâtre de Création


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