L'art de la pensée négative

De Bard Breien (Norvège, 1h19) avec Fridtjov Såheim, Kjersti Holmen…


Paralysé suite à un accident, Geirr passe ses journées à broyer du noir dans son fauteuil, à écouter Johnny Cash, à regarder des films de guerre et à fumer de l'herbe. Démoralisée par ce bloc hagard de misanthropie, sa femme fait appel à un groupe d'handicapés adeptes de la positive attitude à tout crin… Oh, bien sûr, je sais ce que vous allez me dire. Un film norvégien, sur le handicap, filmé dans un dénuement esthétique rappelant les grandes heures du Dogme 95 de Lars Von Trier, ça ne vous enthousiasme pas outre mesure. Le film de Bard Breien vous incite, dès ses décapantes prémisses, à prendre vos a priori, à vous asseoir dessus et à dandiner. Porté par un humour noir des plus corsés, L'art de la pensée négative prend un malin plaisir à s'adonner au jeu de massacre, confrontant avec une virulence déstabilisante (toujours proche du malaise mais admirablement dosée) ses tenants d'un optimisme béat et ses disciples obtus du renoncement. Bard Breien effeuille consciencieusement les psychés de ses personnages, leur lot de tristesse, de lâcheté, de failles en tout genre ne demandant qu'à exploser au grand jour. Mais il le fait, et c'est là tout l'intérêt et la puissance de son film, sans condescendance, avec une humanité crue élevant le regard de ses protagonistes comme de leurs spectateurs. Le film se révèle grandement à la hauteur de ses ambitions cathartiques, et son apparente cruauté de se muter en délicatesse abrupte, où chaque personnage gagne le droit d'être appréhendé comme il l'entend, sans compassion feinte ou antipathie bienséante.
François Cau


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