Fantômes du paradis

Pour sa troisième création, la compagnie lyonnaise Arcosm chamboule tout l'air de rien, en livrant un spectacle ovniesque demandant un abandon total du spectateur. Saisissant et bluffant. Aurélien Martinez


Que nous reste-t-il du spectacle La Mécanique des anges, une semaine après les premières représentations à Villefontaine ? Pas de trame précise, mais des images ; beaucoup d'images, fortes et prégnantes. Car Thomas Guerry, danseur et chorégraphe, et Camille Rocailleux, musicien et compositeur, ont créé à quatre mains un univers visuel grandiose où se mêlent danse et musique dans une symbiose totale (si cette association n'est pas nouvelle, la réussite est souvent aléatoire selon les artistes).

Pourtant, ce n'était pas gagné, les deux metteurs en scène ayant choisi une voie périlleuse : aller chercher sept interprètes très différents les uns des autres, et les réunir sur un plateau. À savoir des musiciens, qui n'ont connu auparavant que la scène de concert, une chanteuse lyrique, deux danseurs, un comédien…

Miracle, le résultat fonctionne à merveille, même s'il faut admettre que certains semblent plus hésitants et moins à l'aise que d'autres (mettons ça sur le compte de la jeunesse de la pièce). Tous sur scène, ils évoquent des sortes d'anges paumés dans une comédie musicale suggestive à la Rocky Horror Picture Show, en plus onirique et fantasmagorique.

L'enfer, c'est les autres

Un soldat, seul sur scène, nettoie méthodiquement son arme, en écoutant Wagner. Puis il meurt, bêtement, et se retrouve dans un ailleurs inconnu, avec d'autres personnes que l'on devine elles aussi décédées. Au dessus d'eux sept, un homme, étrange et plus âgé (on pense au personnage central du film Phantom of the Paradise), semble les manipuler en tirant des ficelles invisibles.

Où sommes nous ? Au paradis ? En enfer ? Ou dans un espace plus flou, sorte de purgatoire des âmes abandonnées ? Le spectacle, ouvert, permet à chacun de se faire sa propre interprétation (certains y ont vu une illustration du Huis clos de Sartre), car la compagnie fait ici le pari du sensitif. Un pari risqué, qui pourra évidemment rebuter ceux qui ne se laisseront pas transporter dans ce voyage décadent, tel ce directeur de salle, parti de la représentation outré, se demandant bien comment il pourrait arriver à classer « ça » (l'anecdote nous a été rapportée). Si on n'est pas du tout d'accord avec son argumentaire (assez sommaire), force est de reconnaître que cette Mécanique des anges a de quoi déconcerter, même les plus habitués au transgressif. Et c'est justement ce qui nous a tant séduits.


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